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Lentement les voix se taisent, l’orchestre s’éteint par de vagues soupirs, et quand le dernier accord expire, il semble qu’on entende le silence même. M. Colonne, le premier dans ses concerts, a fait jouer sans intervertir l’ordre des morceaux la dernière partie du Songe ; ce n’est sans doute pas sa faute s’il l’exécute différemment au théâtre, mais cette variante maladroite enlève encore au chef-d’œuvre de Mendelssohn quelque chose de sa délicatesse et de sa ténuité.


« Un jour, Cupidon visa une belle vestale assise sur un trône d’Occident, et détacha sa flèche d’amour de son arc… Mais je pas voir la flèche enflammée s’éteindre dans les chastes rayons de la lune humide et l’impériale prêtresse passa, plongée dans ses méditations virginales, l’imagination libre de pensées d’amour. »

Ainsi parle Shakspeare par la bouche d’Obéron dans le Songe d’une nuit d’été anglais. Mais d’après les librettistes du Songe d’une nuit d’été français, cet hommage rendu par le poète à l’austérité d’Elisabeth serait simple mensonge de galant homme. Courir après un de ses sujets, fût-il un grand poète, jusque dans les tavernes de Londres, lui adresser une homélie sur les dangers de la boisson ; se pencher sur son front pendant qu’il dort, le faire enlever de nuit, et quand il débarque au clair de lune sous les arbres de Richmond, lui apparaître en costume blanc, même voilée, et sous prétexte de s’intéresser à son avenir ; vouloir lui persuader ensuite que cette poétique aventure n’était qu’un songe, le songe d’une nuit d’été, et cependant lui laisser entendre à la fin, avec des larmes dans la voix, qu’il n’a pas rêvé, que l’apparition du parc était bien une femme, mais que sous la femme il y avait la reine, sous la reine, la muse, et sous la muse, l’amie ; tout cela dénote une imagination très vive et peut-être imparfaitement libre de pensées d’amour. Il est vrai que les librettistes du Songe ont respecté l’honneur d’Elisabeth : ils nous l’ont montrée romanesque, mais vertueuse, sachant renoncer à des sentimens incompatibles avec sa situation, et regrettant seulement, en véritable princesse d’opéra comique, « qu’au front qui porte la couronne viennent s’attacher les soucis. »

On s’est beaucoup moqué de ce livret et peut-être plus que de raison. Un critique allemand, M. Hanslick, observe très justement[1] que l’opéra comique français a toujours fait abstraction de la vérité historique. A la porte de la salle Favart on doit laisser, non pas toute espérance, mais tout souvenir. Aussi bien, une reine d’Angleterre, fût-elle Elisabeth, a pu se hasarder dans les tavernes depuis que sa collègue

  1. Voir le volume intitulé : Moderne Oper.