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réminiscences ; des noms harmonieux : Obéron, Titania ; des visions indéterminées et charmantes ; forêts qui murmurent au vent de la nuit, sylphes qui jouent sur la clairière, qui a vont tuer les vers dans les boutons des roses musquées, ou qui font la guerre aux chauves-souris et leur enlèvent le cuir de leurs ailes pour en habiller les petits elfes. » Nous ne pensions pas, quand l’allegro appassionato passait comme un souffle sur la cime des bois, qu’il, représentât en réalité la course fastidieuse de deux rivaux se poursuivant à travers le taillis ; nous ne nous souvenions plus que Thésée eût été duc d’Athènes, encore moins qu’il eût épousé Hippolyte, reine des Amazones, et que la fameuse marche célébrât cet anachronisme nuptial. Nous n’imaginions que des lutins et des fées, dansant à la pointe des herbes, comme ils semblaient danser à la pointe des archets frémissons ; le duetto chanté nous parlait d’un « asile aimable et frais, » et dans ce bocage idéal nous enfermions le rêve dont nous sommes aujourd’hui réveillé. Comme le poète avait raison de dire :


Amis, ne creusez pas vos chères rêveries,
Ne fouillez pas le sol de vos plaines fleuries ;
Et, quand s’offre à vos yeux un océan qui dort,
Nagez à la surface, ou jouez sur le bord.


Oublions donc le carton et la toile peinte ; la forêt sans murmure, son feuillage immobile, ses fleurs sans parfum et ses sylphides un peu grosses pour se blottir dans le calice des primevères ; tâchons de rappeler nos souvenirs passés et de retrouver dans la seule musique les enchantemens qu’un spectacle forcément trop matériel avait presque fait s’évanouir.

Au mois de mai 1830, après quelques jours passés par le jeune musicien sous le toit du vieux poète, Goethe offrit à Mendelssohn un feuillet manuscrit de son Faust avec cette dédicace : « A mon jeune et cher ami Félix Mendelssohn-Bartholdy, le puissant et doux maître du piano. » L’illustre vieillard avait bien jugé : l’auteur d’Élie et de Paulus, celui des deux symphonies en la et du Songe, fut un maître à la fois puissant et doux, le plus austère de tous depuis Bach, le plus élégant depuis Mozart. En lui la gravité hébraïque et la poésie allemande se tempéraient l’une l’autre ; en lui se conciliaient avec un équilibre rare la raison et la fantaisie : une raison qui n’est jamais sans grâce, une fantaisie qui n’est jamais sans frein. L’imagination, loin d’être la folle de ce logis, en était la fée souriante et sage, qui n’abuse pas de sa baguette d’or. La correspondance de Mendelssohn, autant que son œuvre musicale, indique un esprit pondéré, une