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étaient démoralisés et depuis la veille sans chefs. Garibaldi, à quatre heures du soir, au plus fort de l’engagement, avait, au dire des prisonniers, déserté le combat avec ses fils et son état-major[1]. Au lieu de monter au Golgotha, comme il l’annonçait dans ses proclamations, il avait repris le chemin de fer à la station la plus voisine. La mort cependant ne l’effrayait pas ; il l’avait affrontée maintes fois ; mais les héros ont des nerfs comme de simples mortels, ils sont parfois sujets à de mystérieuses défaillances.

Le général de Failly était resté à Civita-Vecchia, tandis que le général Polhès décidait de la journée de Mentana ; le lendemain il transportait son quartier-général à Rome. Son rapport, qui n’était pas destiné à la publicité, parut dans le Moniteur sans être revu ni corrigé ; il eut le plus fâcheux retentissement. Il imprima à notre intervention un caractère odieux qu’elle n’avait certes pas. Il est des mots irréfléchis dont le souvenir ne s’efface pas. « Surveillez votre parole, dit un proverbe florentin, correctif piquant du Verba volant, car elle porte et peut se retourner contre vous : les actes, au contraire, se discutent et s’interprètent. »

Les premières dépêches de Mentana avaient laissé l’Italie assez indifférente ; on’ avait cru qu’il ne s’agissait que d’une passe d’armes entre les volontaires et les soldats du pape. Mais l’indignation éclata, les passions firent explosion lorsqu’on apprit que des bataillons français étaient intervenus dans la lutte et que les Italiens avaient été littéralement fauchés par le feu meurtrier de notre tir. « Les soldats de la France, disaient les journaux, autrefois portés par le souffle de la révolution, renversaient au pas de course les gouvernemens monarchiques de la vieille Europe. Ils heurtaient quelquefois les nations en passant, mais des plis de leur drapeau tombaient partout sur les peuples appelés à une vie nouvelle, les idées divines du droit, de la justice et de la liberté. Comme leur rôle est changé aujourd’hui ! Les voilà qui marchent à la suite d’une armée de mercenaires recrutés par l’absolutisme. Ils ne se jettent pas dans les batailles, ils s’y glissent subrepticement. Ils ont pour adversaires des soldats mal armés, mal vêtus, épuisés par les privations et les fatigues, l’ombre malheureuse d’une armée que la passion seule de la liberté tient encore debout. Est-ce donc là une page que l’on prétend coudre au livre radieux des victoires de la France ? Qu’en diraient les vieux soldats de la république et de l’empire s’ils pouvaient assister à un pareil spectacle ? »

L’Italie se sentait blessée au cœur ; ses plaintes ne pouvaient nous surprendre, malgré leur injustice. Elle se méprenait sur le but et le caractère de notre intervention. Ce n’était pas pour mesurer la

  1. Dépêches du comte Armand et du baron de La Villestreux.