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de s’y opposer ; une entente entre Rome et Florence lui eût rendu sa liberté d’action. Mais Pie IX était intraitable ; il repoussait toutes les avances de l’Italie ; par son obstination il paralysait notre politique et nous suscitait de cruels embarras ; l’influence fatale que la superstition italienne attribuait à Pie IX semblait peser Napoléon III. La cour de Rome protestait dans de véhémentes circulaires contre la violation de son territoire. Le cardinal Antonelli ne se bornait pas à s’adresser aux puissances catholiques, il mettait l’Angleterre en cause. Il lui reprochait de fournir de l’argent et des armes à la révolution ; il faisait allusion en termes prophétiques aux agissemens des fenians. Il demandait au cabinet de Londres ce qu’il dirait si, tandis qu’il conspirait contre le pape, le saint-siège demandait à l’Irlande catholique de secouer le joug de la domination anglaise. « Puisse l’Angleterre, ajoutait-il, à titre d’avertissement, ouvrir les yeux à la lumière, agir désormais avec plus de justice à l’égard d’une puissance non-seulement inoffensive, mais encore amicale ! »


V. — MENTANA.

Tandis que des notes et des télégrammes s’échangeaient entre Paris et Florence, Garibaldi était aux prises avec l’armée romaine. Le 3 novembre, à deux heures du matin, par une pluie battante, un corps de cinq mille hommes, moitié Français, moitié Romains, commandé par le général Kanzler et le général Polhès, sortait de Rome et se dirigeait vers Monte-Rotondo. Monte-Rotondo était une petite place forte dont Garibaldi s’était emparé peu de jours auparavant. Il s’agissait de l’en déloger. L’armée garibaldienne, renforcée par des soldats sortis des rangs de l’armée régulière, campait à un kilomètre en avant de la forteresse. On en vint aux mains aussitôt ; c’était le combat de Mentana qui s’engageait. La lutte se prolongea, acharnée, indécise jusqu’à la fin de la journée. Le général Polhès n’intervint que vers quatre heures du soir, au moment où les soldats du pape, fatigués, accablés par le nombre, perdaient du terrain. Nos troupes couchèrent sur le champ de bataille, sans connaître le résultat de la lutte ; elles pensaient que l’action reprendrait le lendemain. Mais, après avoir tenu bravement depuis le matin, les garibaldiens s’étaient rejetés dans la place à la nuit tombante, terrifiés par la rapidité et la précision meurtrière de nos chassepots, laissant derrière eux beaucoup de blessés et plus de six cents morts[1]. Les pertes qu’ils avaient éprouvées témoignaient de leur bravoure. Dès l’aube, ils arborèrent le drapeau parlementaire et mirent bas les armes. Ils

  1. Il y eut relativement peu de blessés ; on fit deux mille prisonniers. le corps du général Polhès n’eut que deux soldats tués.