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se déclarait impuissant à défendre les frontières des états de l’église, c’était à la France de faire respecter la convention de septembre. Les délais réclamés par le roi étaient expirés, aucun cabinet n’était formé et la révolution frappait aux portes de Rome avec la crosse de ses fusils ; l’empereur, malgré sa tendresse invétérée pour l’Italie, ne pouvait plus se soustraire aux exigences impérieuses de l’opinion.

Le 26 octobre, le Moniteur annonçait « qu’en présence des tentatives nouvelles faites par les bandes révolutionnaires pour envahir le territoire pontifical, l’empereur avait révoqué les ordres donnés de suspendre l’embarquement des troupes réunies à Toulon. »

A l’heure où notre flotte appareillait, le général Menabrea[1] se chargeait, sur les instances du roi, de la formation d’un cabinet ; Victor-Emmanuel ne pouvait faire de meilleur choix. Le comte Menabrea nous offrait, par la loyauté et la fermeté de son caractère, toutes les sécurités. Vingt-quatre heures plus tôt, son avènement au pouvoir nous eût permis d’échapper à une détermination blessante pour l’Italie, contraire à nos principes et à nos intérêts. La jettatura s’en mêlait !

Le départ précipité de notre corps expéditionnaire causa en Europe une vive sensation. Les chancelleries n’étaient pas préparées, après toutes les défaillances de notre politique depuis Sadowa, à cet acte de vigueur. Rome fut dans la joie, Florence dans la consternation. Pour le saint-siège, c’était la délivrance ; pour l’Italie, la ruine de ses espérances.

On s’attendait, le 27 octobre, à voir apparaître d’un instant à l’autre, sous les murs de Rome, les bandes garibaldiennes. Le général Kanzler avait à peine trois mille hommes à leur opposer ; il prenait ses dispositions avec le général Prudon pour soutenir un

  1. Le général Menabrea, Savoisien de naissance, opta en 1860, pour la nationalité italienne. Il était officier du génie ; jusqu’en 1818, il ne s’était occupé que d’art militaire et de sciences. En 1848, il entra dans la vie politique, et, jusqu’en 1860, il siégea à la chambre des députés de Sardaigne ; il était l’un des chefs et des orateurs de l’extrême droite cléricale. Peu à peu il se rapprocha du comte de Cavour, dont il sut se concilier l’amitié et la confiance. Il fit avec éclat la campagne de 1859 et celle de 1866. En 1862, il présida aux travaux du siège de Gaëte. M. de Cavour le désigna en mourant comme un des hommes les plus capables de diriger le pays. En 1861, il entra dans le ministère Ricasoli comme ministre de la marine. Il remplit de 1863 à 1864 les fonctions de ministre des travaux publics dans le cabinet Minghetti ; en avril 1864, il fut un des négociateurs de la convention de septembre. En 1S0G, il fut nommé général en chef du génie et, après la campagne, chargé de négocier la paix avec l’Autriche. Depuis, il était resté auprès du roi, dont il était le premier aide-de-camp. Il était sénateur et chevalier de l’Annonciade. Il avait toujours été partisan de l’alliance française.