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le consommateur de la baisse du prix, afin que le producteur à son tour trouve une compensation à cette baisse dans un accroissement de la consommation. Ces vastes bazars, si légèrement calomniés, que l’on appelle « les grands magasins » ont donné l’exemple pour le commerce du vêtement et de l’ameublement ; ici les consommateurs profitent de la baisse du prix. Il faut faire de même pour le commerce d’alimentation, et même pour le logement. C’est à ces conditions qu’on rétablira l’équilibre entre la production et la consommation. Quand les prix pour le consommateur auront été ainsi diminués, celui-ci prendra de nouvelles habitudes, il consommera davantage, et la crise sera terminée. Des arrangemens que nous venons d’indiquer il n’en est pas un que la liberté ne puisse effectuer, il n’en est pas un qui ne soit entravé par l’intervention de l’état, laquelle se manifeste toujours sous la forme de réglementation à outrance, de concurrence déloyale à l’industrie privée, ou de fiscalité oppressive.

Nous avons cherché à exposer l’origine de la crise actuelle. Elle a un caractère beaucoup plus général que toutes les précédentes parce qu’elle tient à une transformation soudaine dans la production et surtout dans la circulation du monde entier. Elle aura par la même cause plus de durée. Néanmoins, si les états avaient quelque prévoyance et quelque sagesse, il est probable qu’avant un an ou dix-huit mois, un mieux sensible se manifesterait partout. Nous n’ignorons pas que beaucoup de lecteurs attendent plus des remèdes empiriques que du régime salutaire et normal qui vient d’être indiqué. Nous recevons des lettres qui nous pressent d’engager l’état à racheter des usines ou des mines et à les livrer aux ouvriers, à réformer la législation de façon que les travailleurs de tous les ateliers soient intéressés dans les bénéfices, à emprunter de plus en plus pour construire des maisons, etc. Nous admirons la crédulité des braves gens qui, sans avoir pris la peine de réfléchir sur ce qu’est le travail, le capital, l’épargne, l’entreprise, sur les élémens et les causes des bénéfices, nous envoient des plans aussi ingénieux. Ils aggraveraient singulièrement le mal. L’action de l’état dans toutes ces questions est essentiellement perturbatrice ; elle ne peut jamais être régulatrice. Nous ne sollicitons de lui que de ne pas s’entremettre partout, de ne pas irriter les esprits, de restreindre ses dépenses, de contribuer par son économie à l’abaissement du prix de revient, par la sagesse de son attitude au rétablissement de la confiance. Vous lui demandez trop peu, dira-t-on, Non, car, étant donné son naturel inquiet et fantasque, nous lui demandons beaucoup, plus peut-être qu’il ne voudra nous accorder.


PAUL LEROY-BEAULIEU.