Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/417

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

marché aux pays les plus avancés en manufactures. L’Italie, qui commandait ses locomotives d’abord à l’Angleterre et à la France, puis à l’Allemagne, s’est mise, à les faire elle-même, quoiqu’elle manque de combustible. Toutes les nations s’ingénient à développer à outrance leur exportation ; les unes lui donnent des primes directes, les autres, comme le gouvernement allemand, lui en fournissent d’indirectes par un abaissement au-dessous du prix de revient des tarifs de chemins de fer. Autrefois, les affaires d’exportation étaient celles où l’on gagnait proportionnellement le plus : maintenant, ce sont celles où l’on gagne le moins ; d’après la théorie nouvelle, on se résout à n’y plus retrouver que l’équivalent strict des frais de fabrication en se disant, pour consolation, que l’on diminue un peu les frais généraux. L’industrie métallurgique se débat en tout pays dans les embarras inextricables que lui a suscités le régime protectionniste, qui a fait surgir partout des hauts fourneaux avec les subsides des contribuables. Une autre cause, il est vrai, a ajouté à ses embarras ; nous en parlerons tout à l’heure, ce sont les commandes extravagantes des états.

Il n’est pas d’industrie toutefois où l’absurdité du régime protectionniste se révèle mieux que l’industrie du sucre. On sait combien les lois sur le sucre sont embrouillées. Chaque année, on en refait de nouvelles. On veut tirer de cette matière un revenu fiscal, mais, en outre, on prétend faire en sorte que l’industrie nationale du sucre soit la première du monde. La France y travaille, l’Allemagne y travaille, et l’Autriche, et l’Italie, et la Belgique, et la Hollande, et la Russie, pour aller plus loin. Par un système ingénieux et sans cesse remanié de déchets à la fabrication, de rendemens fictifs du sucre brut en sucre raffiné, chacun des pays précités donne des primes à l’exportation des sucres nationaux. Ce qui en résulte, c’est que cette industrie du sucre, soumise à un régime de faveurs à outrance, est complètement sortie des voies naturelles. On pousse partout la production ; le prix de revient normal n’y fait rien ; ce que l’on considère, c’est la prime de sortie. « On va faire du sucre en quantité assez grande pour sucrer la mer, » nous disait un raffineur français. Il y a sans doute de l’exagération dans, ce propos pittoresque ; mais, par suite des subsides gouvernementaux, on est arrivé à faire tant de sucre dans presque tous les pays que les prix de cette denrée baissent chaque jour. Les gouvernemens en tirent argument pour redoubler leur faveurs, qui redoubleront la baisse de la denrée.

Pour avoir une influence moins palpable dans la généralité des cas, la politique protectionniste n’en est pas moins défavorable à l’ensemble de l’industrie. Si le débouché de la plupart de nos