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objets, en France du moins, personne ou très peu de gens ayant le goût d’avoir deux berceaux pour un seul enfant. Il est donc certaines choses dont la consommation est restreinte, en quantité du moins, car, sous le rapport de la qualité, la consommation conserve des perspectives d’accroissement. Ce que nous avons dit des berceaux peut s’appliquer aux lits. Quelques autres objets, les sabots, les souliers, sont un peu dans le même cas : vous auriez beau diminuer le prix de ces articles que, si toute la population en est pourvue, si personne n’a plus conservé l’habitude d’aller nu-pieds, vous pourrez difficilement étendre le débit. Peu de gens veulent imiter le roi Auguste de Pologne, et faire des collections de chaussures ; en outre, beaucoup de personnes, quelle que soit leur fortune, pensent que les vieux souliers, quand ils ne sont pas trop avariés, ont leur mérite comme le vieux bois, comme le vieux vin et comme les vieux amis. On n’en est pas là, toutefois, dans le monde, que tous les êtres humains soient pourvus de chaussures et de bas. Pour ceux de ces objets, dont l’usage raisonnable par habitant est limité, sinon d’une façon absolue, du moins approximativement, en quantité, la production a, cependant, encore plus de champ libre devant soi qu’on ne le pense. Toute baisse des prix fait que l’on change plus souvent ceux de ces objets dont la commodité ne gagne pas par l’usage. Aussi a-t-on remarqué que, depuis les progrès de la mécanique et la réduction du prix des marchandises communes, on perd l’habitude de faire réparer, du moins réparer à outrance, les effets d’habillement ; le nombre des artisans qui travaillent dans le vieux, les fripiers, les savetiers, se réduit à proportion que s’accroît celui des tailleurs et des cordonniers.

Si, pour certains objets à usage strictement personnel, la production peut être considérée comme ayant une limite, difficile à fixer, à partir de laquelle elle dépasse la consommation, il en est de même pour certains articles qui ne sont pas destinés à satisfaire immédiatement les besoins de l’homme, mais qui servent simplement d’instrumens de travail. Supposons que des perfectionnemens dans la fabrication des aiguilles ou des épingles permette soudainement d’en produire cinq ou dix fois plus, il est certain qu’on ne pourra pas placer les quantités fabriquées. Personne n’achète, par plaisir, des aiguilles ; on s’en sert pour coudre, et comme l’on n’augmentera pas ses travaux de couture simplement parce que les aiguilles coûtent très bon marché, on peut produire trop d’aiguilles. Sans doute, si la baisse du prix était considérable, beaucoup de personnes feraient moins d’attention à conserver ces menus instrumens, les chercheraient avec moins de soin quand elles les auraient laissés choir, de sorte que la consommation des aiguilles pourrait augmenter de moitié ou peut-être doubler, mais il serait chimérique