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contre un lingot d’or de 1 gramme[1]. L’argent perdait près de 21 pour 100 de la valeur que nos lois lui attribuaient et qu’il avait conservée grosso modo, avec des variations fréquentes, mais légères, jusqu’en 1871. Ce que M. Cernuschi appelle le pair bimétallique était donc complètement détruit et l’on se trouvait en plein dans ce que le pittoresque écrivain nomme le morbus monétaire. Aujourd’hui, d’ailleurs, le mal a encore empiré, car la dépréciation du métal d’argent dépasse 22 pour 100.

En exposant les péripéties de cette question métallique, nous avons tenu à éviter toute discussion de principe sur l’emploi comme monnaie des deux métaux précieux. Il nous suffit, dans ce travail, de suivre les faits et de les rapprocher pour rechercher l’influence qu’ils ont pu exercer sur les prix. Le premier de ces prix ; par ordre d’importance, qui ait été sérieusement troublé, c’est celui du métal d’argent. Quelle a été la cause de la dépréciation considérable qu’il a subie ? Ici encore nous serons bref. L’école de MM. de Laveleye, Cernuschi, de Soubeyran affirme que la seule cause de la baisse énorme du métal d’argent, c’est, d’une part, la démonétisation des thalers allemands et, d’autre part, la fermeture à la frappe de ce métal des hôtels de monnaie de l’Union latine. On a vu plus haut que M. Cernuschi lui-même avoue que la démonétisation des thalers allemands a été beaucoup moindre qu’on ne se le figure d’ordinaire. En opposition avec cette explication de la dépréciation de l’argent on peut alléguer des faits qui sont précis et constans : c’est que la production des mines d’argent n’a pas cessé de s’accroître dans des proportions énormes depuis une quinzaine d’années, et que les frais d’extraction de ce métal, soit par suite de la découverte de gisemens plus importans, soit par les progrès de l’industrie des mines, sont considérablement diminués, tandis que, au contraire, la production de l’or, au lieu d’augmenter, a plutôt légèrement décru. Quelques chiffres à ce sujet seront sans doute les bienvenus. Les mines d’argent du monde entier ne fournissaient comme moyenne annuelle que 886,115 kilogrammes de ce métal pendant la période 1851-55 ; le rendement s’est élevé graduellement jusqu’en 1870 et, à partir de cette époque, il est soudain devenu colossal. La moyenne annuelle de la production de l’argent a monté, en effet, à 1,969,000 kilogrammes pendant la période 1871-75, soit juste le double de ce qu’elle était vingt ans auparavant. Dans

  1. Tous ces chiffres, qui sont des moyennes annuelles, sont tirés d’un ouvrage récent du spécialiste le plus connu pour l’étude des faits monétaires, à savoir : M. Ad. Soëtbeer, Materialien zur Erläuterung und Beurtheilung der Wirthschaftlichen Edelmetallverhœltnisse, etc. ; Berlin, octobre 1885, p. 12.