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Le caractère de la littérature qui commence vers 1660, c’est-à-dire avec le gouvernement personnel de Louis XIV, est de réagir également contre ces deux tendances extrêmes ; les écrivains se rangent, et, renonçant aux patronages aristocratiques pour celui que leur offre le roi, ils prennent leurs inspirations dans le goût bourgeois et dans celui de la cour. Par là ils réalisent un double idéal de vérité moyenne et d’élévation dont Molière et Boileau d’un côté, Racine de l’autre, offriront des modèles, parfaits. Les deux premiers sentent et parlent comme des bourgeois de grand esprit en qui le contact des suprêmes élégances affine, sans les altérer, les qualités originelles, le troisième comme un bourgeois d’une délicatesse supérieure à sa condition, à l’aise comme en une patrie dans le monde qui l’accueille, et, en échange de ce qu’il reçoit, offrant à ce monde la peinture idéale de son langage et de ses sentimens. Dès lors, les précieux raillés disparaissent ou boudent, les burlesques méprisés se consolent dans leurs cabarets, mais les uns et les autres perdent pour un temps toute influence. Tandis que Boileau harcèle les seconds, Molière se charge des premiers ; il ouvre le feu avec les Précieuses ridicules, début de son théâtre parisien, il ne les cesse qu’avec les Femmes savantes, son avant-dernière pièce, et l’on peut tenir pour assuré que, s’il eût vécu, il n’eût point désarmé. D’autre part, dans le plus grand nombre de ses comédies, il mêle bourgeois et hommes de cour, corrigeant les uns par les autres, opposant à Dorante, le noble sans dignité, Cléonte, le bourgeois fier de sa condition, l’élégant Clitandre au cuistre Trissotin. Ainsi, jusque dans la littérature, le règne de Louis XIV, ce « règne de vile bourgeoisie, » comme l’appelle Saint-Simon, ce règne où, selon la remarque d’Augustin Thierry, « dans les lettres, tous les grands noms, sauf trois, furent plébéiens, » ce règne marque l’avènement du tiers-état, servant et illustrant le pouvoir qui l’élève et lui donne sa place.


GUSTAVE LARROUMET.