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aisément recouvrables, c’est toute la succession de l’homme qui, à un moment de sa carrière, avait possédé au moins 25,000 livres, c’est-à-dire 120,000 francs de notre monnaie et qui meurt endetté de 10,000 livres sur une maison achetée 8,500. Il semble assister à l’inventaire après décès d’Harpagon, mais d’un Harpagon auquel on aurait vraiment volé sa cassette.


VII

Tel quel, néanmoins, cet inventaire est pour nous d’un grand prix, grâce à l’énumération détaillée qui le termine de papiers de tout genre, personnels ou d’affaires, de commerce ou d’intérêt privé. Bien que ces papiers n’embrassent pas, il s’en faut de beaucoup, toute l’existence de Jean Poquelin, ils abondent en renseignemens sur le caractère de l’homme ; c’est de leur simple rapprochement que j’ai pu extraire la plus grande partie des renseignemens qui précèdent. Est-il besoin de résumer l’impression qui s’en dégage ? Le lecteur qui m’aura suivi jusqu’ici a son opinion faite et je n’y saurais guère ajouter ; mais je voudrais, en finissant, préciser deux considérations qui regardent Molière, puisque c’est par Molière seul que Jean Poquelin a quelque intérêt pour nous. J’estime donc que celui-ci a plus ou moins inspiré tous les types de pères créés par celui-là, et aussi que le poète a subi dans ses œuvres l’influence profonde du milieu où il fut élevé.

La comédie de Molière n’est pas une école de respect pour les jeunes gens ; les pères y sont fort maltraités. Sans doute, il faut prendre le théâtre comique pour ce qu’il est, et l’on ne saurait apprécier de la même manière les deux grandes catégories entre lesquelles se répartissent les pièces de Molière, c’est-à-dire les farces et les comédies d’observation. Toutefois, même dans les farces de Molière, il y a toujours un fond sérieux. Que les pères mis en scène soient de simples Cassandres ou des types pris sur le vif, que les fils appartiennent à la famille du beau Léandre ou à celle des êtres vivans, le poète a mis dans les uns et les autres beaucoup de son expérience et de ses sentimens. Or, entre ces pères et ces enfans, mêlés à des intrigues bouffonnes ou à des actions sérieuses, il y a peu d’affection réciproque ; leur manière d’être ressemble même beaucoup à une guerre déclarée. On comprend qu’au début de sa carrière, tandis que, dans l’ivresse de la liberté conquise, Molière exerçait son génie en développant des canevas italiens, il ne vit encore dans les rôles de père que l’autorité gênante, l’obstacle éternel aux plaisirs de la jeunesse, et qu’il les