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de la communauté des marchands tapissiers de Paris, » et il figure, à cette date, parmi les experts chargés de dresser l’inventaire d’une partie du mobilier royal[1] ; ce qui prouve à la fois l’estime que ses confrères faisaient de lui, et combien sa capacité professionnelle était appréciée à la cour. Sa clientèle se recrute parmi les personnes les plus considérables de la noblesse, et, dans ses comptes, figurent le duc de Cossé-Brissac, le baron de La Ferté, la maréchale de la Meilleraie, le marquis de la Porte, quelques-uns pour de grosses sommes. À vrai dire, il ne donne pas ses marchandises : comme Argan avec son apothicaire, M. de Cossé l’oblige à modérer ses parties. Il sert aussi la haute bourgeoisie ; ainsi M. Godefroy, trésorier général de l’artillerie, qui a chez lui un compte de 2,600 livres. Et lorsque ces riches cliens, assez lents à s’acquitter, semble-t-il, se mettent par trop en retard, il obtient sentence contre eux aux requêtes du Palais ou au Châtelet. En même temps, il continue à exercer le métier de prêteur d’argent, tantôt pour de grosses sommes, avec des officiers de la cour, comme Gilles Chussac, « premier valet des pages de la chambre du roi, » qui lui doit près de 2,000 livres, des gentilshommes comme messire Joachim de Lisle, sieur d’Andresy, qui lui en doit 560, tantôt avec de petites gens auxquels il fait signer par-devant notaire des obligations de tout chiffre, depuis 78 livres jusqu’à 13 livres. Contre eux aussi il met en mouvement juges et commissaires, sergens et huissiers, et il épuise les moyens de droit : commandement, sentence et saisie. D’autre part, il a le goût de la propriété immobilière, propriété solide et sûre, qui pose un homme et montre sa richesse à tous. Avec la dot de sa seconde femme, il avait acheté, en 1633, une maison aux petits piliers des Halles, devant le pilori, à l’image Saint-Christophe. En 1649, il obtient, de sa sœur, Jeanne Poquelin, veuve de Toussaint Perrier, marchand, donation des immeubles qu’elle possède, savoir : une maison rue de la Lingerie, « où pend pour enseigne la Véronique, » — c’est la maison de famille des Poquelin, celle de Jean Ier, — et deux loges et demie à la foire Saint-Germain ; le tout, à la simple condition, pour le frère, de loger, nourrir et entretenir sa sœur[2].

En 1654, il atteint ses cinquante-huit ans et, sa fortune faite, songe à se retirer des affaires. Il prend alors avec ses enfans des arrangemens où il se montre semblable à lui-même, c’est-à-dire très serré. De ses deux mariages il lui restait en tout quatre enfans, Molière, dont il n’avait plus à s’occuper, son second fils Jean et deux filles,

  1. A. Vitu, dans le Moliériste, octobre 1880.
  2. E. Campardon, Nouvelles Pièces sur Molière, 1876.