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âge, et le père avait-il mieux à faire que de mettre son fils en état de lui succéder un jour dans une charge honorable ? En même temps, il lui faisait donner, sans doute, le genre d’instruction que recevaient alors les fils de moyens bourgeois, celle des écoles paroissiales. Établies en grand nombre et depuis très longtemps auprès des églises, ces écoles étaient fortement organisées et suivaient, au moment où Molière y étudia, un plan d’études dressé, en 1626, par le chantre de Notre-Dame, leur directeur suprême. De huit à onze heures du matin et de deux à cinq heures du soir, les enfans de la paroisse y étudiaient le catéchisme, les bonnes mœurs, la lecture en latin et en français, le calcul, le plain-chant ; on leur apprenait même à « composer du François en latin[1]. » Cette instruction assez complète, comme on le voit, permettait de devenir à la fois « un honnête homme » et un excellent tapissier.

Il faut bien, cependant, que le père Poquelin ait eu bonne espérance de son fils aîné et qu’il ait voulu faire plus que son devoir, car, avant même de lui assurer la survivance de sa charge, dès 1636, il prit le parti de lui faire donner une éducation très au-dessus de sa condition et de l’état auquel il le destinait. Laissons encore parler Grimarest. Molière, dit-il, avait un grand-père qui l’aimait beaucoup et le menait souvent voir la comédie à l’hôtel de Bourgogne, et, comme le tapissier, craignant que ce plaisir ne dissipât son fils, demandait au grand-père, avec un peu d’impatience : « Avez-vous envie d’en faire un comédien ? — Plût à Dieu, répondit le grand-père, qu’il fût aussi bon comédien que Bellerose ! » — Cette réponse, ajoute Grimarest, frappa le jeune homme, et, sans pourtant qu’il eût d’inclination déterminée, elle lui fit naître du dégoût pour la profession de tapissier, s’imaginant que, puisque son grand-père souhaitait qu’il pût être comédien, il pouvait aspirer à quelque chose de plus que le métier de son père. De la tristesse de l’enfant, jusqu’à ce qu’un jour, le père demandant la cause de ces bouderies, « le petit Poquelin ne put tenir contre l’envie qu’il avait de déclarer ses sentimens à son père ; il lui avoua franchement qu’il ne pouvoit s’accommoder de sa profession, mais qu’il lui feroit un sensible plaisir de le faire étudier. » Alors, le grand-père joignant ses instances à celles du fils, le père céda, et fit admettre le jeune homme au collège de Clermont.

Ici encore, à raisonner froidement, il faut bien prendre parti pour Jean Poquelin contre son fils et son beau-père. On peut trouver d’abord qu’avec la composition des spectacles à l’hôtel de

  1. Instruction méthodique pour l’école paroissiale, par J. D. B., prêtre, 1669 ; Statuts et règlement des petites écoles, 1672.