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des princes et un manifeste adressé aux Français, menaçant, en cas d’attentat contre le roi, les membres séditieux de l’assemblée, leurs fauteurs, et leurs complices des « derniers supplices » et Paris même « d’extermination. » Léopold connaissait ces desseins et les désapprouvait entièrement. Il les combattit dans l’esprit du roi de Prusse après que le comte d’Artois se fut retiré. Frédéric-Guillaume était plein de chaleur pour les princes, leurs vues répondaient aux siennes, et il se montrait sensible aux adulations qu’ils ne lui ménageaient point. Mais il y avait en lui un fond de prudence ; il subissait le charme et l’ascendant de Léopold. Il ne se dissimula point les inconvéniens d’une guerre entreprise sans le concours assuré de l’Europe, il en vit les dangers, il n’en discerna pas clairement les avantages. Les deux alliés convinrent de répondre, point par point, aux demandes du comte d’Artois : la régence de Monsieur produirait un effet contraire à celui que l’on désirait obtenir, et qui était de rendre confiance à Louis XVI ; le manifeste ne pouvait résulter que d’un concert des puissances ; elles y avaient été invitées, il convenait d’attendre leurs réponses ; l’empereur n’était pas en mesure de faciliter aux princes des levées de troupes dans l’empire, et s’il autorisait les émigrés à séjourner « tranquillement » dans ses états, il ne saurait leur permettre de s’y organiser militairement avant qu’il se fût établi, sur ce point, un accord entre les puissances.

Cependant, comme on ne pouvait congédier tout crûment un prince de si haute naissance et tous ces brillans gentilshommes qui formaient son cortège, on leur fit au moins les honneurs du théâtre et on les invita à prendre leur part des représentations, des banquets et des fêtes. Ils ne manquèrent point d’y paraître, de s’y agiter et d’y faire étalage des distinctions extérieures qu’ils recevaient, ce qui pouvait, devant leurs partisans et devant le public, leur donner quelque couleur de crédit. On les vit poursuivre les ministres et les favoris et les presser en toute occasion. Ils insistaient surtout pour obtenir le manifeste. Les Allemands trouvaient que le comte d’Artois, et M. de Calonne y apportaient « une effronterie et une importunité sans exemple[1]. » Ce n’était point peu de chose pour un fils de France que d’importuner M. de Bischoffswerder et de se voir taxé d’effronterie par le référendaire Spielmann. Dans cette même journée du 26, où le comte d’Artois conférait avec les souverains, Calonne eut un entretien avec le prince de Hohenlohe et Bischoffswerder ; mais cette conversation ne produisit pas les effets qu’il en attendait. « Le général de Hohenlohe

  1. Rapport de Spielmann.