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étudier. Ils jettent la lumière, une lumière crue et assez pénible, sur l’un des épisodes les plus singuliers de ce temps : l’avortement des mesures tentées pour secourir Louis XVI avant et après la catastrophe de Varennes[1].


I

Au mois de mai 1791, Louis XVI et Marie-Antoinette étaient décidés à fuir. Ils se trouvaient à bout de forces, et leur condition leur semblait tellement affreuse qu’ils étaient résignés, selon le mot d’un de leurs confidens, à et risquer le tout pour le tout. » Le plan du roi était de faire appel à l’Europe, de provoquer la réunion d’un congrès des souverains, et d’y paraître en qualité de médiateur entre son peuple et ses alliés armés pour la défense des principes monarchiques. Il comptait que les Français, effrayés par la menace d’une intervention étrangère, se jetteraient dans ses bras et qu’il regagnerait leurs cœurs en les sauvant de ce danger. Le premier point, dans l’exécution de ce dessein, était de s’assurer le concours de l’Europe ; le second était de prévenir les imprudences des émigrés et d’empêcher que leurs fanfaronnades, en fournissant de nouveaux prétextes à de plus étroites mesures de surveillance, ne compromissent des préparatifs déjà très compliqués et très périlleux en eux-mêmes. C’est à quoi s’employaient les envoyés et agens de la cour de France au dehors ; mais la besogne était malaisée. La frivolité des émigrés n’avait d’égale que leur insubordination. Quant à l’Europe, jamais elle n’avait paru moins disposée à s’unir, et les intérêts du roi de France étaient le moindre souci des politiques qui la gouvernaient. L’assemblée nationale ne laissait point cependant de soulever quelques conflits : ses revendications sur Avignon étaient faites pour donner à réfléchir aux voisins de la France, et la suppression des droits féodaux en Alsace soulevait, de la part de la diète germanique, une résistance assez tapageuse. Le pape protestait : l’Europe n’en avait cure ; il y avait longtemps que les chancelleries s’étaient blasées sur les doléances pontificales. Les petits états de l’Allemagne déclaraient que la suppression des droits féodaux en Alsace emportait l’abrogation des traités

  1. J’ai consulté, pour cette étude, les correspondances diplomatiques conservées aux Archives des affaires étrangères ; les correspondances publiées par MM. d’Arneth, de Vivenot, Feuillet de Conches, Herrmann ; la Correspondance de Léopold et de Kaunitz, publiée par M. Beer, celle du comte de La March, celle du comte de Fersen, celle de Catherine avec Grimm ; les Mémoires de Bouillé et d’Augeard ; les écrits de MM. Geffroy sur Gustave III et de La Rocheterie sur Marie-Antoinette et l’émigration ; les ouvrages de MM. de Sydel, de Martens, Häusser, Baumgarten, Franceschi, Bianchi.