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soudain s’ébranle et sonne ; sa voix tonnante mugit sur ses lèvres de bronze, et proclame immortel celui qui vient de mourir.

Tel est le sujet de la Cloche, autrement original et varié que celui de Rubezahl. Un pareil livret seul ferait honneur à M. d’Indy. C’est une noble figure, celle de ce vieil artiste jetant, avant de mourir, un long regard sur le passé. Les grands sentimens humains : la religion, l’amour, le courage, l’enthousiasme, interviennent tous dans ces poétiques tableaux, où le surnaturel et le fantastique trouvent également une place.

Par ses tendances musicales et littéraires, l’œuvre, est-il besoin de le dire ? est toute germanique. Elle a, disions-nous, les qualités et les défauts des œuvres de Wagner. M. d’Indy tient du maître allemand le sérieux et l’austérité, l’élévation et la pureté des idées. Écoutez les personnages de la Cloche, ils ne parlent que de belles choses et de nobles sujets : de gloire, de liberté, d’art et d’idéal. Il n’y a pas jusqu’à l’amour qu’ils ne traitent avec gravité, — pour ne pas dire plus. — Cette grandeur toujours recherchée, et parfois magnifiquement réalisée, est un des caractères du génie de Wagner, un de ceux que nous aimons le plus à reconnaître. L’auteur de Tannhäuser, du Vaisseau Fantôme, de Lohengrin, de la Tétralogie, habite toujours sur les sommets, au risque d’y trouver les nuages. On pourrait, par l’analyse des passions, et notamment de l’amour, dans le théâtre de Wagner, se convaincre de cet idéalisme poétique et musical. La Senta, du Vaisseau Fantôme, serait sous ce rapport un type particulièrement intéressant : cette fille d’un pêcheur norvégien, éprise pour le Hollandais errant d’un amour presque mystique, est surnaturelle entre toutes les héroïnes de Wagner.

Ce n’est pas seulement par la hauteur de la pensée que l’œuvre de M. d’Indy nous semble wagnérienne ; elle l’est encore par d’autres côtés. Amiel a donné quelque part une appréciation de Wagner qui révèle une profonde intelligence de la philosophie musicale. Après avoir constaté que par Wagner « la voix est ramenée au rang d’instrument, mise de niveau avec les violons, les timbales et les hautbois, et traitée instrumentalement, » l’écrivain genevois ajoute : « C’est la musique dépersonnalisée, la musique néo-hégélienne, la musique-foule au lieu de la musique-individu. En ce cas, elle est bien la musique de l’avenir, la musique de la démocratie socialiste remplaçant l’art aristocratique, héroïque ou subjectif. » La remarque est très juste : Wagner, et j’entends ici surtout le Wagner en pleine possession de lui-même, Wagner, dans ses œuvres de raison et de génie, a fait une grande place à la masse, à la foule, au nombre. Le premier acte de Lohengrin est presque une suite de chœurs ; la plus sublime page de Tannhäuser est peut-être le chœur des pèlerins. L’orchestre même