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rien imité, mais un exemple illustre des moyens les plus simples amenant l’effet le plus puissant.

La seconde partie de Rubezahl s’ouvre par un aimable paysage musical. La scène se passe au bord d’un lac, et l’on sent sur ce prélude, surtout pendant les dernières mesures, courir la brise des eaux. Le récitatif de Rodolphe, venant avec Hedwige implorer la protection des ondines, amène facilement un duo d’abord embarrassé, mais qui s’achève par un poétique tableau. Les deux fiancés, agenouillés sur la rive, prient les nymphes du lac : à leur voix répond bientôt le murmure harmonieux des ondines. Cet effet de psalmodie lointaine n’est pas nouveau : M. Ambroise Thomas, dans Hamlet, M. Massenet, dans Narcisse, ont mis sur les lèvres humides de leurs naïades des appels plus attirans, des soupirs encore plus mélodieux. Mais si M. Huë n’a pas répandu sur ce tableau une couleur très personnelle, il l’a relevé par d’ingénieux détails, comme l’alternance continue d’un trémolo de violon et d’un trille de flûte, qui donne à l’accompagnement beaucoup de finesse et de légèreté.

Il y a moins à louer dans la dernière partie de Rubezahl. Nous y signalerons seulement un chœur de forgerons et la reprise du chœur des Ondines, qui termine la partition.

Le Chant de la cloche est une des œuvres les plus fortes que nous ayons entendues depuis longtemps. Celle-là, par exemple, ne se livre point par la seule lecture ; elle veut être écoutée, et d’une oreille attentive ; d’une oreille aussi que n’étonnent au passage ni les harmonies audacieuses, ni les modulations singulières ; d’une oreille accoutumée à la complexité, à la complication même des partitions les plus touffues de Berlioz et surtout de Wagner. Wagner est le maître dont M. d’Indy semble le plus subir ou rechercher l’influence, dont se retrouvent en lui les qualités et les défauts, les rayons et les ombres. Par la pensée première, par les idées philosophiques (puisqu’on fait maintenant de la philosophie même en musique) ; par le style et les procédés techniques, c’est de Wagner que relève M. d’Indy. Mais aujourd’hui que les créateurs sont morts, quelles voix, même les plus écoutées, ne sont pas l’écho de grandes voix éteintes ; de qui les œuvres ne sont-elles pas un peu des œuvres de reflet ? Derrière les hommes de génie, qui de temps en temps apparaissent, les hommes de talent forment un long cortège, et quand les maîtres ont frayé une voie nouvelle, leurs disciples suivent, en y marchant, la trace de leurs pas.

Le poème de M. d’Indy n’est pas, comme on pourrait d’abord le croire, absolument imité de l’ode fameuse de Schiller. Schiller nous montre seulement les épisodes successifs de la fonte d’une cloche, en