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tes doigts à mes cheveux. » Mais, comme les monarques à couronnes, le bon petit peuple est sujet aux caprices, aux inconstances, aux dégoûts, à l’ingratitude, et c’est Aristophane qui nous le dit : tel marchand de saucisses supplante quelquefois Cléon dans ses bonnes grâces. Tout métier a ses chagrins.

La démocratie n’est pas une religion, ni un dogme, ni un saint mystère ; la démocratie est une forme de gouvernement, qui a ses avantages et ses inconvéniens, ses qualités utiles et ses vices. Sir Henry Maine ne voit que les vices, et bien qu’il accorde à Bentham que la fonction propre de tout gouvernement est de travailler sans relâche au plus grand bonheur de tous, il s’empresse d’ajouter que les peuples sont si ignorans de leurs vrais intérêts qu’ils doivent s’en remettre aux autres du soin de les rendre heureux. Quand ils s’avisent de faire eux-mêmes leur ménage, ils se condamnent à de cruels mécomptes. La maison n’est jamais bien tenue, et vient-elle à menacer ruine, il ne se trouve personne pour la réparer. La démocratie est, selon M. Maine, la machine la plus exposée aux accidens, la plus sujette à se démonter, à se détraquer. Dans une monarchie constitutionnelle, à la façon de George III, le pouvoir dirigeant est retenu par d’autres pouvoirs qui lui font contrepoids et le préservent de ses propres entraînemens. Quand on croit à la souveraineté du peuple, on fabrique des constitutions où la volonté des plus nombreux, qui sont souvent les moins éclairés, n’est tenue en échec par rien. Si le peuple se trompe, comme il arrive quelquefois, qui se chargera de le faire revenir sur ses décisions ou d’en ajourner les effets ? S’il s’obstine dans son erreur, il en sera puni par des calamités ; s’il vient à résipiscence, ses repentirs mettront tout en confusion, et la confusion est une de ces maladies dont on meurt.

Par une singulière contradiction, M. Maine, l’ennemi juré du progrès, reproche à la démocratie d’être non seulement le plus fragile des gouvernemens, mais le moins progressif, le plus routinier, le plus contraire aux réformes sages et utiles. Les peuples n’aiment pas qu’on les dérange dans leurs habitudes, ils veulent faire aujourd’hui ce qu’ils faisaient hier, et ne croient qu’aux vieux procédés ; ils se défient des inventeurs et des inventions, qui imposent de nouveaux apprentissages à leur paresse naturelle, toujours prompte à se rebuter. « Tout ce qui a rendu l’Angleterre glorieuse et riche a été l’œuvre de minorités souvent très faibles. Je tiens pour certain que si, durant quatre siècles, nous avions en dans notre pays des franchises électorales très étendues au lieu du vote restreint, c’en était fait de la réforme religieuse, de la révolution dynastique de 1689, de la tolérance pour les dissidens, et même de la réforme du calendrier. La machine à battre, le métier à tisser, le métier à filer et peut-être la machine à vapeur auraient été prohibés. Même de nos jours, la vaccination est