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cette patrie supérieure, faite d’idées, de sentimens et de traditions, sans lesquels il n’y aurait en ce monde, au lieu de nationalités, que des poussières de peuples agglomérés par le hasard.

La lutte va donc continuer des deux parts, implacable, sans trêve ni merci : ceux-ci, poussés par leurs fatalités originelles, emportés par la vitesse acquise et gâtés par le succès ; ceux-là, forts de leur conscience et sûrs de leur droit, continuant à protester contre une insupportable tyrannie. Si bien qu’après cette guerre, qu’on pourrait appeler de sept ans, — car elle ne nous aura pas coûté moins que Rosbach, — se dresse déjà, comme une menace et comme une tristesse, après et parmi tant d’autres, la perspective d’une suite indéfinie de chocs et de heurts.

Comme si nous n’avions pas assez déjà des luttes inévitables et nécessaires ! Ah ! ils sont bien coupables ceux qui, au lieu de ne songer qu’à la guerre sainte, ont jeté ce pays qui ne demandait que du travail et du repos, dans l’inextricable complication d’une guerre religieuse ! Ils ont bien mal tenu leur office et compris leur rôle ! Pour cette éventualité suprême où se jouera quelque jour non plus seulement le sort d’une dynastie, mais l’existence même de ce pays, ce n’eût pas été trop de toutes les forces vives de notre jeunesse préparée de longue main, par une éducation vraiment patriotique, aux derniers sacrifices ; et ce n’était pas trop de la nation entière tendant toutes ses facultés et gardant ses trésors pour le grand jour.

A l’une, née dans les angoisses de l’année terrible, nourrie du lait amer de la défaite, au bruit du canon de l’invasion et de la guerre civile, il fallait le puissant réactif et les graves leçons de cette morale chrétienne qui enseigne aux peuples éprouvés la résignation et l’humilité sans leur ôter l’espérance. Il fallait lui montrer avec tous les grands penseurs de ce siècle le devoir comme but suprême de la vie et Dieu comme la source éternelle et nécessaire de tout devoir. Déprimée comme elle l’était déjà par tant d’impressions douloureuses, livrée d’autre part à tant d’influences desséchantes, sa faiblesse avait besoin de ce refuge et nul réconfort ne convenait mieux à son état de langueur.

A l’autre il fallait avoir le courage de dire : Tu possèdes les dons les plus précieux, mais tu as aussi de graves défauts ; tu as de l’esprit, mais tu n’as pas d’esprit de suite ; tu as bon cœur, mais mauvaise tête ; tu es brave, mais tu n’es pas résistant ; tu t’exaltes facilement, mais tu te refroidis de même ; tu aimes le succès, mais tu ne supportes pas l’infortune et tu n’en sais pas accepter les responsabilités ; tu as la prétention d’être la plus spirituelle des nations et tu n’en es souvent que la plus légère ; tu as pour toi le