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assez peu françaises pour souscrire à cette criante iniquité. Dans le délai de cinq ans, les deux mille trois cent vingt-huit écoles publiques actuellement entre les mains des frères de la doctrine chrétienne ou autres, — car il n’y a pas moins de vingt-quatre congrégations d’hommes vouées à l’enseignement, — devront être pourvues d’instituteurs laïques. Quant aux titulaires actuels, dépossédés, contrairement à tous les principes, sans aucune indemnité, chassés comme indignes, traités en parias, qu’ils fondent, s’ils le peuvent, des écoles libres, ou qu’ils se vengent, puisque aussi bien c’est leur folie de se dévouer, en allant porter au loin l’influence et le nom français. Si la patrie les repousse, les colonies leur restent, et la république, dans sa magnanimité, n’entend pas leur interdire l’émigration.

Parlerai-je à présent des sœurs, car elles sont frappées du même coup, et tout aussi brutalement, quoiqu’on n’ait pas spécifié de délai pour elles ? Qui ne les connaît ? Qui ne les a vues à l’œuvre et qui ne sait de quels soins touchans elles entourent nos enfans dans les dix mille neuf cent cinquante et une[1] écoles publiques qu’elles dirigent ? Ah ! ce ne sont pas, il est vrai, des doctoresses, et leur bagage, assurément, n’est pas lourd. Pour enseigner l’économie politique à nos petites villageoises, suivant l’esprit des nouveaux programmes, il se peut qu’elles ne soient pas à la hauteur des bas bleus qu’on nous fabrique aujourd’hui dans les écoles normales primaires et dans les lycées de filles. Mais combien plus expérimentées, plus soigneuses, plus habiles à manier les enfans, à leur faire entrer dans la tête, à force de patience et de douceur, quelques bons élémens, au lieu du fatras dont on les assomme aujourd’hui !

Combien plus aimables surtout, — et c’est ici la vertu pédagogique par excellence, — combien plus avenantes et plus douces sous leurs cornettes blanches, semblables à des ailes ! Mais qu’importe aux politiciens faméliques qui se sont abattus sur nous et qui nous rongent ? Il leur fallait encore cette épuration et ce débouché[2]. Les bureaux de tabac étaient tous pris, les postes et les télégraphes regorgent. Restaient les écoles : à la porte les saintes filles ! Article d’exportation comme les frères !

A présent, les conseils municipaux seront-ils consultés, car en tout ceci, vraiment on pourrait se demander s’ils existent encore. Interviendront-ils au moins dans le choix du personnel laïque ? Nullement. C’est le préfet, sur la proposition des inspecteurs

  1. J’emprunte ce chiffre comme les précédens à la statistique des congrégations religieuses qui a paru vers la fin de l’année 1878, sous le ministère et par les soins de M. Bardoux.
  2. De l’aveu même de M. Ferrouillat, le rapporteur de cette loi, il y avait, au mois d’octobre 1885, 9,760 aspirantes institutrices laïques en quête d’emploi.