Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/186

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à construire, était bien au contraire la plus impolitique et la plus folle qui se pût imaginer. Mais cette observation d’ordre matériel et financier n’était pas la seule qu’il y eût à reprendre dans le projet ministériel. Il péchait d’une façon plus choquante encore contre la raison et contre la liberté de conscience. L’enseignement primaire était vraiment primaire autrefois ; s’adressant à des enfans de six à douze ans, on ne lui demandait pas d’en faire de grands clercs. L’instruction morale et religieuse, la lecture, l’écriture, les élémens de la langue française, le calcul et le système légal des poids et mesures, les élémens de l’histoire et de la géographie de la France, telles étaient, jusqu’à ces dernières années, les seules matières obligatoires dans nos écoles. L’ancienne pédagogie bornait là son ambition, jugeant, dans sa vieille expérience, qu’en fait d’éducation, la qualité doit toujours passer avant la quantité : multum, non multa. Toutefois, elle s’était bien gardée d’emprisonner les instituteurs dans des programmes trop rigoureusement fermés ; aux parties obligatoires elle avait eu soin d’ajouter une partie facultative qui permettait de varier l’enseignement suivant les besoins particuliers de chaque région et le degré d’instruction du maître et des enfans[1].

Rien de tel dans le système du législateur de 1882 : plus de distinction entre les matières obligatoires et les matières facultatives ; un seul et même programme indéfiniment élargi, comprenant deux ou trois fois plus de choses que l’ancien, et des choses fort au-dessus de la portée moyenne des intelligences chargées de les apprendre et même de les enseigner : toute l’histoire (même la contemporaine) et toute la géographie, par exemple ; les élémens non plus seulement de la langue, comme il était dit dans les lois antérieures, mais de la littérature française ; les notions usuelles du droit et de l’économie politique ; les élémens des sciences naturelles, physiques et mathématiques ; leur application à l’agriculture, à l’hygiène, aux arts industriels ; les travaux manuels et l’usage des outils des principaux métiers. Quoi encore ? le dessin, le modelage, la musique, la gymnastique, les exercices militaires. Vous représentez-vous les malheureux chargés de faire seulement le tour de cette masse énorme, de ce programme-Babel où tout est confusion, pêle-mêle, ignorance ou mépris des mesures et des quantités nécessaires, et vous figurez-vous les cervelles de nos petits paysans aux prises avec des leçons de littérature française, d’histoire contemporaine ou

  1. Loi du 21 juin 1865. — « L’enseignement primaire peut comprendre en outre : l’arithmétique appliquée aux opérations pratiques, des notions des sciences physiques et de l’histoire naturelle applicables aux usages de la vie, des instructions élémentaires sur l’agriculture l’industrie et l’hygiène, l’arpentage et le nivellement.