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il était difficile au plus habile professeur d’exercer une action salutaire. Je n’insisterai pas, après M. Renan, qui ne laisse guère à glaner derrière lui, sur ce qu’un tel régime avait de défectueux, et même, à quelques égards, d’irritant. Il y fallait, sans contredit, de grands changemens, que le gouvernement impérial avait commencé de réaliser et qui s’étaient continués depuis avec beaucoup de suite. Y fallait-il une révolution comme celle qui s’accomplit en ce moment ? Et sommes-nous condamnés, par une exagération contraire, à tomber d’un vice dans un autre ? Toujours est-il que notre haut enseignement est en train de perdre absolument son caractère et de manquer à sa mission. La Sorbonne elle-même a cessé d’être le rendez-vous des gens du monde et des étrangers venus des quatre coins de l’Europe pour entendre la parole de ses maîtres. Elle appartient désormais tout entière à la jeunesse, et sa principale fonction, son rôle essentiel, est devenu la préparation aux examens. Elle n’aspire plus à briller par l’éclat de son enseignement. Toute son ambition se réduit à fabriquer chaque année un gros stock de licenciés et d’agrégés. Ce n’est plus la grande maison des Cousin et des Saint-Marc Girardin ; c’est, — qu’on me pardonne le mot, — la maison du coin du quai qui fait concurrence à l’École normale et qui lui prend sa clientèle naturelle en attendant mieux.

Voilà, trop franchement caractérisée peut-être, mais sans nulle exagération, j’ose l’affirmer, la tendance de la jeune Sorbonne, j’entends celle qui règne et gouverne à présent, et voilà ce que, en quelques années, par parti-pris d’école et de méthode chez les uns, par calcul de convenance ou d’intérêt personnel chez les autres, elle a fait de notre premier établissement d’enseignement supérieur. Qu’en juge, après cela, des autres, et du sort qui leur est réservé !

Mais, ce qui est plus grave encore que ces tendances exclusives, c’est qu’elles ne sont, en réalité, qu’une des nombreuses manifestations d’un mal général. Effectivement, allez au fond de ce mouvement, cherchez-en les origines, écartez les grands mots de science, de méthode et de patriotisme sous lesquels on nous le présente volontiers, analysez-le dans les élémens dont il se compose et vous trouverez, — je ne dis pas chez tous les meneurs, il y en a de sincères assurément, — mais chez beaucoup d’entre eux, plus d’envie que de conviction, et plus d’impuissance que de bonne foi. La démocratie, je l’ai déjà dit, n’aime pas beaucoup les lettres, en quoi, sans doute, elle n’a pas tort ; son instinct, d’accord avec ses intérêts, la pousse d’un autre côté. Mais ce qu’elle-aime encore moins que les lettres, c’est le talent, ce sont les hommes qui jettent un peu d’éclat sur sa médiocrité. Or, et c’est ici le grand danger,