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III

Les changemens accomplis dans nos facultés ont-ils été mieux conduits ? En un sens assurément, et la raison en est assez simple. Sur ce terrain, l’opportunisme n’avait pas ses coudées aussi franches qu’aux deux autres degrés d’enseignement. Il lui fallait compter avec des habitudes acquises et des traditions invétérées. On n’emprisonne pas des professeurs de faculté dans des programmes tout de même que des instituteurs : ils sont maîtres de leur enseignement comme de leur chaire et l’on n’oserait pas encore, officiellement au moins, leur imposer une doctrine d’état. On se contente de la leur suggérer et de les traiter suivant le plus ou moins de zèle qu’ils apportent à s’y conformer. Il y avait autrefois dans l’université deux clans bien distincts : le clan de ceux qui allaient à la messe avec un gros livre sous le bras et le clan de ceux qui en étaient demeurés à la profession de foi du vicaire savoyard et même en-deçà. C’était sous la restauration ! C’est exactement la même chose aujourd’hui. Seulement le catéchisme de M. Paul Bert a remplacé le livre de messe et, pour avancer, il n’est pas inutile d’en laisser passer un bout de sa poche. A cela près, l’enseignement supérieur est libre en France, et l’administration, grâces à Dieu, n’y a d’autre action que celle qu’il plaît à ses membres de lui laisser prendre.

Elle se trouvait d’ailleurs ici dans une situation particulièrement délicate et qui lui commandait une grande réserve. Depuis plusieurs années déjà, la réforme de l’enseignement supérieur était en pleine activité : les lignes générales, le cadre en avaient été très nettement tracés en 1868 et, sur bien des points, l’exécution avait suivi. L’École des hautes études était en pleine prospérité ; l’usage des exercices didactiques, des conférences avait été généralement adopté ; de nombreux laboratoires d’enseignement formaient pour la jeunesse studieuse autant d’écoles d’apprentissage et de manipulation ; nos facultés commençaient d’être un peu moins pauvres en étudians. Bref, s’il restait encore bien des efforts à faire, ils étaient de ceux dont le temps et surtout l’argent devaient aisément avoir raison.

Or, précisément, jamais l’argent n’avait été si facile ; jamais à aucune époque et dans aucun pays on n’avait vu de chambres ni de commissions du budget plus coulantes. Il suffisait de demander pour obtenir, quand on n’obtenait pas au-delà de ce qu’on avait demandé. On ne comptait plus que par centaines de millions, comme au temps de la planche aux assignats, et c’était une fièvre de dépenses qui faisait délirer toutes les têtes. Le budget de l’enseignement supérieur ne pouvait manquer de subir le contre-coup de cet