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s’accoutument par la récitation à les combiner ensemble. On a la prétention de leur faire apprendre à les décomposer, à distinguer les simples des dérivés, ceux qui sont marqués de l’accent tonique et ceux qui ne le sont pas, les préfixes et les suffixes, les doublets ; on entre avec eux dans de savans développemens sur l’origine et la transformation des langues. En vérité, s’ils ne sortent pas du collège à tout jamais dégoûtés de la grammaire et des grammairiens, ce ne sera pas la faute de la nouvelle université.

Pareillement en histoire. Ce qui faisait autrefois l’attrait de cet enseignement dans les basses classes surtout, c’était son caractère narratif. On y mêlait beaucoup de récits. On tâchait de retenir et de captiver l’attention des enfans par des anecdotes, on s’occupait plus des êtres que des choses, des individus que des institutions. On leur contait volontiers les grands coups d’épée de nos pères et l’on tenait que les batailles de Turenne ou de Bonaparte étaient encore ce qu’il y avait de mieux pour développer les idées de gloire ou de patrie. Grave erreur, préjugé gothique. C’est l’étude des sociétés qui fera désormais le principal objet de l’enseignement. L’histoire bataille, l’histoire des individus royaux, comme on disait en 1793, est reléguée au second plan ; celle des institutions, des mœurs et des usages, depuis les lois de Manou jusqu’aux immortels principes de 1789, passe au premier. Nos enfans ne sauront peut-être plus aussi bien que par le passé la suite des guerres, des négociations et des traités d’où est sortie la France ; en revanche, ils sauront dans le dernier détail comment s’habillait un Gaulois du IVe, un Franc du Ve siècle, un bourgeois du XIIe ; comment vivaient nos pères, de quels ustensiles ils se servaient, ce qu’ils mangeaient et comment ils passaient leur temps. Voilà ce qui importe vraiment aujourd’hui, voilà la véritable, la seule histoire intéressante, utile, capable de former la jeunesse à l’amour du présent ; « au respect et à rattachement pour les principes sur lesquels la société moderne est fondée[1]. » Tel est, dans ses traits généraux, l’esprit de la nouvelle pédagogie et tels sont encore aujourd’hui, malgré les retouches et les tempéramens apportés par le conseil supérieur actuel à l’œuvre de ses devanciers, les tendances qui règnent dans la direction de notre enseignement secondaire classique. Les résultats, on les connaît : ils ont été consignés dans vingt rapports officiels qui tous constatent l’affaiblissement graduel du niveau des études et le caractère superficiel d’un enseignement qui porte sur trop de matières pour en approfondir aucune. Autrefois, un élève de force moyenne arrivait sans difficultés et sans préparation spéciale au

  1. Expression tirée de la note du conseil supérieur.