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scholars les mêmes garanties de lumière et d’impartialité qu’autrefois, tant pis pour lui ! L’important, c’est que l’université soit armée, c’est de remonter le courant, de restituer à la chose publique, dans le domaine de l’enseignement, « la part d’action qui doit lui appartenir et qui va s’amoindrissant, depuis bientôt trente ans, sous l’effort d’usurpations successives, »

Le règne des forces sociales n’a que trop duré, l’état ne lui a fait que trop de concessions. Assez et trop longtemps, la magistrature, le conseil d’état, le clergé, — le clergé surtout, — ont eu leur part dans la direction de l’enseignement public et dans sa discipline. Au tour des pédagogues maintenant, tous mandarins comme en Chine, tous ou presque tous fonctionnaires[1], tous à l’alignement et sous le niveau. C’est ainsi que l’opportunisme au pouvoir entend la liberté, et le voilà bien pris au naturel et sur le fait, dans cette belle invention de faire largesse à des maîtres d’école avec l’héritage des Bonnechose et des Darboy.

Considérez-le maintenant dans son autre projet. Tout à l’heure, c’était le clergé séculier qui était en cause et qu’il s’agissait d’évincer. Mais on ne faisait que l’écarter, on ne touchait pas à sa constitution. Ici, c’est l’ensemble des congrégations non autorisées qu’on vise et c’est à leur existence même, en tant que maisons d’éducation, qu’on s’attaque.

Le fameux article 7 est formel. « A l’avenir, nul ne sera plus admis à participer à l’enseignement public ou libre, ni à diriger un établissement de quelque ordre que ce soit ou à y donner l’enseignement, s’il appartient à une congrégation religieuse non autorisée. » C’est-à-dire, en bon français : Il existe actuellement en France 141 congrégations non autorisées, 125 de femmes et 16 d’hommes ; nous les frappons d’incapacité. Ces congrégations possèdent 640 établissemens ; nous les fermons comme insalubres. Ces établissemens comptent près de 62,000 élèves et de 6,000 professeurs ; ceux-ci, nous les mettons à pied ; ceux-là, nous les invitons à se pourvoir ailleurs. Dans le nombre de ces derniers, 9,000 recevaient gratuitement tous les soins de l’âme et du corps ; nous les renvoyons sans indemnité dans leur famille.

Telle est, en fait, dégagée de la mauvaise phraséologie ministérielle, la portée vraie de cette loi de « liberté. » D’un coup, brutalement, elle frappe 67,000 individus, par conséquent, 67,000 familles dans leurs croyances et dans leurs intérêts, sans compter les milliers de citoyens atteints dans leurs goûts et dans leurs sympathies.

A-t-elle au moins le droit pour elle, à défaut de la justice, et les

  1. M. Jules Ferry dans son projet primitif, avait écarté jusqu’à l’Institut, comme incompétent, sans doute.