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majorité de l’Italie et aussi des états du saint-siège. Le programme révolutionnaire n’était nullement du goût des Romains ; sans doute, ils désiraient des institutions plus libérales, ils auraient voulu voir entrer le gouvernement pontifical dans la voie des réformes et se réconcilier avec l’Italie ; mais, au fond, ils appréciaient les avantages de leur situation et ne se souciaient pas d’entrer dans les vues de l’émigration. Le parlement avait proclamé que « Rome appartenait à l’Italie, » et les Romains, malgré la propagande des comités secrets et l’envahissement du territoire pontifical, n’appelaient pas les Italiens.

Le dénoûment approchait, le ministère agonisait. Après avoir échoué à Paris, M. Rattazzi tentait un suprême et infructueux effort à Berlin. « Il s’échange depuis hier, télégraphiait M. de La Villetreux, une correspondance des plus actives entre Florence et Berlin, M. Rattazzi a de fréquentes entrevues avec le comte d’Usedom. L’agitation est vive, l’inquiétude est grande. La maison du roi est dans la stupeur. Les journaux poussent avec violence le gouvernement à Rome. Il y parait décidé, toutes les mesures sont prises pour faire entrer les troupes dans les états pontificaux à la première nouvelle de l’embarquement de nos soldats. Les fils télégraphiques entre Rome et Florence sont rompus. Rattazzi est triste, découragé, il cherche en vain les moyens d’éviter un conflit qui serait désastreux pour l’Italie. »

Victor-Emmanuel n’était pas moins triste et moins découragé que son premier ministre, il ne savait quel parti prendre. Marcher à la suite de Garibaldi, c’était l’abaissement de la monarchie, la guerre avec la France ; exécuter la convention de septembre sans pénétrer dans les États pontificaux, c’était l’impopularité, la guerre civile. Le roi fit venir notre attaché militaire, il lui traça un tableau émouvant des difficultés qui l’assiégeaient. Il espérait attendrir l’empereur et le convaincre que de l’entrée de l’armée italienne sur le territoire romain dépendait le salut de sa couronne. « Je suis dans une situation cruelle, unique, disait-il au colonel Schmitz, ma personne et ma dynastie sont en jeu. On me demande d’aller à Rome, et si je m’y refuse, on proclamera la république. Je n’ai plus le choix, si vous entrez dans les « États romains, j’y entrerai avec vous. » Il ne s’échangeait plus entre Paris et Florence que des plaintes, des reproches et des menaces. Qu’étaient devenus les sermens de Plombières et les souvenirs de Solferino ?


G. ROTHAN.