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dégagerait d’une lourde responsabilité et placerait le pouvoir temporel sous la garantie collective des puissances catholiques ; mais il refusa de consentir à une intervention de l’Italie dans les états du pape. Son siège était fait ; l’ingratitude italienne avait ulcéré son cœur. Rien ne pouvait plus l’impressionner : ni les caresses, ni les menaces. Les moyens qui avaient réussi à M. de Cavour n’étaient plus de saison. M. Rattazzi perdait son temps en dénonçant à la police française les complots qui, au dire de ses agens occultes, se tramaient dans l’ombre contre la vie de Napoléon III[1]. L’empereur restait insensible à ces marques de sollicitude pour sa personne ; il réclamait d’un ton mélancolique, mais résolu, l’exécution pure et simple de la convention de septembre. Des divisions étaient concentrées dans le Midi, les escadres étaient prêtes à appareiller, et déjà le général Prudon et des officiers du génie, arrivés secrètement à Rome, prenaient des mesures pour mettre la ville à l’abri d’un coup de main. L’Italie, à moins d’un miracle, ne pouvait plus échapper à une seconde occupation française.

« L’existence du ministère semble menacée, télégraphiait M. de La Villetreux le 18 octobre. Il y a conseils sur conseils : Rattazzi est découragé, inquiet. Il me dit qu’il ne restera pas au pouvoir si un conflit devait éclater avec la France. Le commandement en chef a été offert au prince Humbert, qui l’a nettement refusé ; il part ce soir pour Milan. »

Il semblait qu’en Italie la pensée d’une intervention française ne fût venue à personne et que tout le monde se crût assuré d’une complète liberté d’action. On ne pouvait expliquer autrement la politique du ministère, les facilités laissées aux préparatifs des volontaires, le retard apporté à la répression. On se défendait en disant qu’on avait usé de tous les moyens pour empêcher l’invasion, qu’on se sentait impuissant à lutter contre un élan irrésistible, contre l’opinion qui réclamait Rome et l’unité… Mais n’était-ce pas le gouvernement lui-même qui avait laissé se développer l’agitation, surexcité les esprits ? Ne pouvait-on pas lui reprocher sa condescendance envers le parti d’action ? D’ailleurs, l’élan n’était pas aussi unanime qu’il le prétendait. Ce n’était pas l’Italie entière qui se portait aux frontières avec cette unanimité, cette furie qui caractérisait l’élan de 1866, c’étaient les séides de Mazzini et les bandes de Garibaldi. Les tentatives révolutionnaires excédaient les sentimens de la

  1. Dépêche de M. de Saint-Vallier, chef du cabinet du ministre des affaires étrangères, au baron de La Villetreux : « On nous dénonce des complots contre la vie de l’empereur ; on dit que cinq garibaldiens travestis auraient été expédiée de Naples et seraient déjà arrivés à Marseille. » M. de La Villetreux, de son côté, transmettait à Paris les informations que lui fournissait le président du conseil, soit directement, soit par des intermédiaires, sur les attentats projetés par le parti révolutionnaire.