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ces vétérans, auront disparu, Aldrich, l’auteur de Cloth of gold, de Flower and Thorn, sera le premier parmi les poètes de la nouvelle génération. Edgar Fawcett, profondément pénétré du goût français, occuperait une place distinguée parmi les plus habiles de nos parnassiens ; Winter s’est imbu de l’ancienne poésie anglaise ; Story est un disciple fervent de Browning ; Mrs Field, que nous placerons en tête du groupe nombreux et brillant des poétesses, reflète dans ses vers le génie ; de l’antiquité grecque ; Boker, nourri des modèles du temps d’Élisabeth, fonde ses drames sur des sujets historiques. On voit par là que la muse américaine n’est pas encore, malgré l’appel révolutionnaire de Walt Whitman, partie pour un monde nouveau.

L’école des traducteurs en vers est florissante aux États-Unis. Il serait impossible de nommer même les plus remarquables quand l’espace nous manque pour rendre justice à la légion grossissante des poètes originaux. Et, si longue que soit la liste de ces derniers, sur laquelle, par parenthèse, M. Stedman pourrait s’inscrire à une place honorable auprès de Gilder, De Kay, Edward King, Parsons, G.-E. Montgomery, J.-M. Thompson, c’est la prose, c’est le roman qui semble régner en maître. Aucun des génies poétiques de la première période n’est remplacé, nous n’avons que la monnaie brillante de cet or pur. Peut-être la guerre civile a-t-elle amené un moment de transition qui sera suivi d’une renaissance. La politique, le journalisme, prirent dans le nord, après la victoire, une place démesurée ; un long silence suivit la défaite du sud : la voix de Sidney Lanier ne s’y est élevée musicale et singulièrement expressive que pour s’éteindre presque aussitôt ; Payne, Randall, Townsend, survécurent à cet artiste vraiment original, mais leurs poésies, où plane cependant l’esprit de la région, sont éclipsées par les ouvrages en prose d’une couleur locale supérieure de leur compatriote Cable. L’ère du roman est dans son éclat, et ceux qui se distinguent dans ce genre sont souvent infidèles à la muse ; Aldrich et Howells, Fawcett et Lathrop, Bret Harte, Bunner, miss Phelps, combien d’autres encore ! Le réalisme qui semble prévaloir au théâtre arrête l’élan du drame en vers. Somme toute, l’Amérique, sous ce rapport et sous beaucoup d’autres, nous semble subir la destinée littéraire de la vieille Europe : Tennyson, Browning, Swinburne ne seront pas plus remplacés en Angleterre que Lamartine, Alfred de Musset et Victor Hugo ne le sont chez nous ; partout l’imagination fait place à ce genre de technique qui a pris une devise assez creuse : l’art pour l’art ; partout les habiles ouvriers se multiplient sans qu’aucun maître apparaisse à l’horizon.

Est-ce en Amérique que l’inspiration va élire domicile ? Y