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prouver d’autre part à la masse de ses compatriotes, trop disposée à croire le contraire, que la plaisanterie peut se passer de grossièreté. Quelques croquis de Paris, pris au vol pendant les années de sa vie d’étudiant en médecine, sont tracés d’une main légère, sans que le puritanisme du fond de sa nature cède pourtant aux influences du dehors, qu’il rend avec tant de vérité. Ce contraste est piquant, comme l’est celui de son provincialisme bostonien avec ses hardiesses scientifiques alliées à l’orgueil quasi-patricien, aux entêtemens invincibles d’un conservateur de race. Toutes ces bizarreries sincères composent le plus aimable des originaux. Une merveilleuse élasticité d’esprit qui lui permit, à cinquante ans, d’aborder le domaine, nouveau pour lui, de la prose, avec la fougue d’un jeune homme, en est le trait principal. Poêle, il n’avait été que trop à la mode, dépensant sa verve en improvisations, sans l’épuiser jamais. A chaque instant, et de tous côtés, on y faisait appel. Il n’y avait pas une solennité politique, un banquet, un festival, une dédicace, une inauguration, pas un événement public pour lequel on n’eût recours à lui : épithalames, épitaphes, saluts aux gloires civiques et littéraires, bienvenues aux princes étrangers ou aux ambassadeurs, adresses rimées, toasts, chansons, il lui fallait fournir tout cela, et il s’en acquittait avec une complaisance proverbiale. Même dans cette brillante poussière, on compte des diamans qui, n’eussent-ils pas été mis en lumière par son incomparable talent de beau diseur, resteraient dignes de prendre place à côté de the Last Leaf, cité tant de fois. Personne ne sut jamais, comme le docteur Holmes, approprier son œuvre à l’occasion, à un auditoire spécial. Sans exalter outre mesure ces triomphes de l’heure qui passe, lesquels lui furent prodigués de telle sorte qu’on peut dire que, seuls, un acteur ou une beauté célèbres ont été accompagnés ainsi à chaque pas par le succès, il est impossible de nier l’influence que ce genre de charme lui assura sur plusieurs générations. Sans doute, les pionniers de la poésie de l’avenir dédaignent la perfection toute classique de sa langue et le tour ancien régime auxquels il reste fidèle. Maint esprit profond lui en veut d’être tout l’opposé d’un transcendentalist et d’avoir jugé qu’Emerson considérait la terre comme l’eût fait un visiteur sorti de quelque autre planète. Une certaine démocratie doit lui reprocher également de n’avoir pas joint autrefois ses efforts à ceux des promoteurs de l’abolition, et, tout en étant libéral, patriote, républicain, comme il convient à un fils de l’Amérique, de dresser volontiers des arbres généalogiques, de préférer franchement l’homme de famille à celui qui s’est fait lui-même, leurs qualités étant d’ailleurs égales. Comme le dit fort bien M. Stedman, les têtes rondes de la vieille patrie furent les cavaliers de la nouvelle ; un groupe de notables dépourvus de titres alla