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de Bret Harte et de Cable ; c’est le poème adorable de la forêt. Évitant toute afféterie, toute convention, son auteur nous fait voir les arbres, les animaux tels qu’ils apparaissent au sauvage lui-même, il nous fait sentir que la poésie est le langage naturel des races primitives.

Un peu plus tard, sa fantaisie pleine de tact le conduisit vers la plus jolie chronique du temps de ses ancêtres, les Pèlerins. The Courtship of Miles Standish est un ravissant tableau de la colonie de Plymouth à son aurore ; de jolies scènes d’amour et des éclairs de fine gaîté humoristique font luire comme un rayon de soleil à travers les tons gris de l’atmosphère puritaine.

Longfellow voulut s’essayer dans tous les genres. Ses productions dramatiques, sauf l’Étudiant espagnol, ne témoignent guère que d’un généreux élan qui manque souvent le but. La puissance l’ait défaut également à sa traduction, remarquable d’ailleurs, de la Divine Comédie ; mais on chercherait en vain dans la collection des plus beaux sonnets d’Angleterre rien qui surpasse les quelques sonnets qu’il a joints à ce dernier ouvrage.

Les pièces réunies en 1880, deux ans avant la mort du poète à Cambridge, sous le titre : Ultima Thule, prouvent qu’il resta jusqu’à la fin de sa longue vieillesse égal à lui-même. M. Stedman lui reproche d’avoir vécu trop exclusivement dans le monde des livres et, quand il voyagea, de n’avoir donné de ses excursions lointaines qu’un reflet assez superficiel. Sous ce rapport, il avait la disposition anglo-saxonne, qui s’est exagérée chez les Américains, de pousser toujours à la recherché d’aspects nouveaux sans s’attacher à pénétrer le génie de l’endroit. La mer seule parla un langage profond à l’imagination de Longfellow ; elle le hanta toute sa vie, l’arrachant même aux séductions de sa chère bibliothèque. Il avait cependant la nostalgie de l’Italie, de l’Espagne, des contrées du Midi. À son avis, le meilleur chez les grands poètes de tous les temps n’est pas ce qui est purement national, mais ce qui est universel. « Leurs racines, disait-il, plongent dans le sol natal, mais leurs branches s’épandent dans une atmosphère qui n’a pas de patrie et qui parle un même langage à tous les hommes. »

Toutes les âmes tendres, en effet, d’un bout du monde à l’autre, comprennent et aiment les chants ensoleillés de Longfellow, comme toutes les âmes tourmentées et malades sont sensibles à la noire magie d’Edgar Poë.


VII

Il existe deux portraits d’Edgar Allan Poë qui donnent l’idée d’une double nature. Le premier nous le montre dans sa