Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 74.djvu/960

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leur situation. Lorsqu’il y a déjà quelques mois, au-delà des Pyrénées, le roi Alphonse XII était prématurément enlevé par la mort, cette disparition si soudaine, si inattendue, semblait encore une fois remettre en doute la paix intérieure, l’avenir de l’Espagne. La monarchie elle-même se sentait atteinte à l’improviste. Le prince qui venait de s’éteindre était un homme jeune qui avait su régner avec bonne grâce, avec habileté, au milieu des partis et qui, par son âge, pouvait promettre au pays une longue sécurité. A la place de ce règne plein de promesses, c’était une minorité qui s’ouvrait tout à coup ; la princesse appelée à exercer la régence était une étrangère, et, par une complication de plus, on ne savait pas même quel était l’héritier de cette couronne castillane, si ce serait la petite princesse des Asturies laissée par Alphonse XII, ou l’enfant que la reine Christine va bientôt mettre au monde. Tout se réunissait pour livrer l’Espagne au péril des incertitudes et des agitations. De tout ce qu’on pouvait craindre, rien n’est arrivé cependant jusqu’ici. La nouvelle régente, la jeune veuve d’Alphonse XII, a su se conduire avec autant de dignité que de tact. Au ministère conservateur qui existait au moment de la mort du roi a succédé, pour l’inauguration de la régence, le ministère de M. Sagasta, qui a été comme un gage offert aux partis libéraux. L’Espagne a eu depuis quelques mois ce qu’on peut appeler la trêve du deuil public, et aujourd’hui encore, c’est en pleine paix, sans aucune apparence de trouble, que viennent de se faire les élections d’où sort le premier parlement du nouveau règne, d’une minorité à peine commencée.

Ces élections espagnoles, qui sont la première manifestation du pays depuis la mort du roi Alphonse, elles se sont passées à peu près comme se passent toutes les élections au-delà des Pyrénées. Le nouveau ministère qui les a préparées se fait, bien entendu, un mérite d’avoir été plus libéral que tous les autres, d’avoir laissé à toutes les opinions une entière liberté. En réalité, il a fait ce que font tous les gouvernemens en Espagne, et, dans leur ensemble, ces élections plus ou moins libres sont ce qu’elles pouvaient être, ce qu’il était facile de prévoir. Le ministère a sa victoire de scrutin ; il a sa majorité, qui se compose, il est vrai, de fractions diverses, qui peut se diviser, mais qui, dans les circonstances sérieuses, marchera sans nul doute sous la direction de son chef, le président du conseil, M. Mateo Sagasta. Les républicains, bien qu’ils n’aient pas pu s’entendre dans la campagne électorale, seront néanmoins plus nombreux qu’ils ne l’étaient dans le dernier parlement ; ils ont de vingt-cinq à trente élus de toutes nuances, les uns suivant M. Ruiz Zorrilla, M. Pi y Margall, M. Salmeron dans leur radicalisme anarchique, les autres, amis de M. Castelar et désavouant comme lui les programmes, les procédés révolutionnaires. Une coalition formée par le rapprochement assez bizarre, assez inattendu d’un