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pendant trois heures, avec une inépuisable vigueur d’éloquence, il a développé son plan de réforme irlandaise. Il n’a rien dit encore des mesures agraires, du système de rachat des propriétés ; il n’a touché qu’à la partie de la réforme politique et, dès ce moment, il est bien clair que, si cette réforme n’est pas une révolution par la séparation complète des deux royaumes, elle est le commencement de la séparation et de la révolution. M. Gladstone établit sans doute comme des principes supérieurs que l’unité de l’empire ne doit pas être atteinte, que l’égalité politique de l’Angleterre, de l’Ecosse et de l’Irlande doit être maintenue, que les charges de l’empire doivent être équitablement réparties, que le droit des minorités, des propriétaires, des fonctionnaires protestans doit être sauvegardé. Sous ces réserves qui peuvent être un peu platoniques, l’Irlande est réellement à peu près indépendante. Elle est une autre Hongrie ou une autre Norvège, qu’un lien nominal rattache à la couronne. Elle a ou elle aura son vice-roi placé en dehors des vicissitudes ministérielles, chef d’un gouvernement autonome et national. Elle aura un parlement, une chambre des lords, une chambre des communes, dont la composition, pour la première fois, est habilement ménagée. En payant sa part des dépenses de l’empire, elle reste maîtresse de ses contributions, de sa législation, de son administration, de sa police intérieure. Il y a certainement dans ce plan, avec une grande hardiesse, des parties ingénieuses. M. Gladstone, en excluant désormais les députés de l’Irlande du parlement d’Angleterre, a peut-être pris le meilleur moyen de gagner beaucoup d’Anglais, souvent impatientés de voir les Irlandais soutenir ou renverser les ministères, fausser par leurs interventions et leurs obstructions le jeu des partis britanniques. Il a pris aussi ses précautions en réservant au gouvernement impérial, pour sa garantie, un droit supérieur sur l’accise et la douane jusqu’à concurrence de la contribution de l’Irlande aux charges de l’empire ; mais ce ne sont là que des détails dans un vaste ensemble dont le dernier mot est, en définitive, la révocation de l’union qui existe depuis le commencement du siècle.

Au fond, il n’y a point à s’y tromper, le programme développé par le vieux et grand chef libéral avec autant d’art que d’éloquence a ému et troublé le parlement bien plus qu’il ne l’a convaincu. Il a été reçu sans doute avec enthousiasme par les Irlandais et M. Parnell, qui s’est hâté de promettre son appui au premier ministre de la reine, de saluer en lui le hardi et bienfaisant réformateur de son pays. En dehors des Irlandais, il a déconcerté et irrité l’opinion. Il a provoqué dans la presse, dans le parlement une sorte d’explosion de sentimens amers, et ce ne sont pas les conservateurs qui ont donné le signal de la guerre au plan ministériel ; la lutte a été engagée par les libéraux