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chez les peuples pasteurs que les traditions des temps primitifs se sont perpétuées.

Dans les pays d’Europe, il y a longtemps que le pasteur a échangé la douce oisiveté de sa vie contemplative contre le rude labeur de la vie agricole, — progrès qui brise ses reins et courbe son échine sous le poids du travail. A l’origine, le troupeau lui fournissait sa subsistance, jouait auprès de lui le rôle de l’esclave antique, assurant à tous la vie et l’oisiveté en remplissant une fonction naturelle. Ainsi l’homme a-t-il vécu tant que l’espace, libre devant lui, permettait à ses troupeaux de trouver sur le sol une nourriture spontanée ; ainsi vivent encore les peuples à qui la possession de grandes surfaces permet la vie pastorale. Leur vie est misérable, mais c’est une misère voulue qu’ils préfèrent à la moindre abdication de leur liberté. Vigoureusement trempés par les exercices auxquels leurs occupations de conducteurs de troupeaux, de chasseurs de bétail demi-sauvage, les obligent, et auxquels ils se livrent à cheval, les peuples pasteurs sont passionnés pour leur indépendance, mais ils ne sont pas créateurs ; leur vigueur est toute de luxe et d’apparat : leurs attaches sont fines, les proportions de leur corps élégantes, bien prises et sans lourdeur, habitués qu’ils sont à une nourriture substantielle sous un petit volume : ils sont, de plus, détachés des préoccupations vulgaires qui sont le lot de celui qui attend sa nourriture de son propre effort.

Que l’on observe les Mongols de la plaine asiatique du Gran-Koli, les Kalmouks et les Kirghiz de la steppe, les Cosaques du Don et du Volga, les pasteurs de la Tauride, les Hongrois de la puszta, les bergers de la Camargue ou ceux de la campagne romaine, en Afrique les chaouchs, dans les pampas de l’Amérique du sud les gauchos, les ranch-men du Texas ou les cow-boys des plaines du Far-West, partout on trouvera les mêmes mœurs, l’élevage et l’éleveur soumis aux mêmes lois et à la même vie, partout la même passion pour l’indépendance, le même mépris pour le bien-être matériel.

On chercherait vainement le lien de famille qui peut unir les uns aux autres tous ces peuples, que l’on croirait issus des mêmes origines. C’est la loi de nature, l’influence du milieu qui leur a donné et qui a perpétué ces mœurs. Le pasteur ne peut vivre et étendre son troupeau que dans la plaine, et la plaine imprime à ses habitans, aussi bien qu’aux animaux qui y pâturent, les mêmes caractères, si bien qu’après quelques générations à peine distinguera-t-on entre eux le bétail et surtout le cheval d’Afrique de celui de la Petite-Russie, celui de la Hongrie de celui des pampas ou des savanes.

Cette plaine impose de même à celui qui y fixe sa tente une