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dans la nombreuse et décevante catégorie des illusions. Qui sait même si un curieux d’alors, un Botta, un Rawlinson, un Schmidt, ne rencontrera pas sous des décombres quelque salle de la bibliothèque Sainte-Geneviève ou de la Nationale? Il en déchiffrera ingénieusement les volumes, comme nous faisons de ceux d’Assurbanipal ; il lira la Revue des Deux Mondes et constatera, dans le présent article, que la fausse hypothèse d’une occupation de Paris par les Chinois avait été prévue. Un tel oubli, dira-t-on, est impossible, puisque l’humanité possède l’imprimerie. Peut-être; mais au temps de Touthmès III, ou d’Agamemnon, ou même de Gygès, on ne la possédait pas, et la Méditerranée était sillonnée de colporteurs. On ne doit donc pas conclure des objets mobiliers trouvés en un lieu aux hommes qui l’ont habité, ni aux constructions élevées par eux. L’île de Syra, au lieu de nous livrer quelques poteries phéniciennes, en serait couverte, que cela ne démontrerait pas l’occupation de Syra par les Phéniciens ; cela prouverait seulement que les Phéniciens y écoulaient abondamment leurs produits.

On voit combien se complique la situation de l’archéologue quand il fouille un sol classique, et de quelle prudence il doit s’armer dans le classement des objets qu’il rencontre et dans la définition des étages qu’il traverse. A un autre point de vue, son rôle est encore plus délicat. Voici, par exemple, un homme qui vient en Asie-Mineure explorer un site fameux. D’après l’histoire, ce site a vu passer de nombreux envahisseurs qui l’ont occupé tour à tour. Ils y ont sans doute laissé des traces de leur présence ; une couche de débris devra porter témoignage pour chacun d’eux. L’archéologue fait un sondage, il creuse un puits; il examine avec le plus grand soin la terre qu’il en retire et les restes qu’elle contient. Déjà les faits indiqués par la tradition se laissent entrevoir ; il peut déblayer le sol, presque sur du succès. La pioche et la pelle, les brouettes et les tombereaux se mettent en mouvement. A la surface sont des restes byzantins; on n’y regarde pas, on les ôte; la première couche se dégage.

C’est une couche hellénique avec quelques débris romains ; on enlève les terres, on démolit les murs de maison et l’on fait place nette pour descendre à une deuxième couche. Celle-ci est traitée de même et donne une nouvelle moisson; c’est l’étage de la belle période hellénique, du temps d’Alexandre et des républiques qui avaient précédé son expédition; on y trouve non-seulement des objets portatifs, grecs et étrangers, mais aussi des murs de maison, des restes de remparts et de temples. s’arrêtera-t-on à ce niveau ? Non, sans doute, puisque le principe est de pénétrer Jusqu’au sol vierge, déjà atteint par le puits. On descendra donc et l’on ôtera