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En outre, la régularité a été brisée dans l’histoire aussi souvent que dans la géologie. Il y a eu des populations sédentaires, comme celles de l’Inde, qui se sont développées sans changer de place; d’autres, comme les Phéniciens et les Pélasges, ont joui d’une mobilité extrême, se sont portées dans toutes les directions et ont laissé partout des traces de leur passage.

Nous savons d’ailleurs que, dans le commerce primitif, le transport des marchandises se faisait de deux manières : de proche en proche ou par des voyages directs. Pour élever des pierres au haut d’un édifice en construction, nos maçons font la chaîne le long d’une grande échelle, ou bien ils emploient un treuil qui tire d’un seul coup les matériaux. A Mycènes, on a trouvé de l’ambre; l’analyse chimique a démontré qu’il provenait de la Baltique; des découvertes multipliées, en Suisse, en France, en Danemark et ailleurs, ont fait connaître les routes de terre suivies par l’ambre du nord jusqu’au Golfe-Adriatique, où la navigation venait le recevoir. Ce commerce usait donc des deux moyens de transport. Les objets fabriqués sur quelque point de la Méditerranée étaient colportés directement par navires vers d’autres points. Les anciens auteurs nous ont appris, par exemple, que, dans les temps dits héroïques et nommés provisoirement préhistoriques, les Phéniciens et ensuite les Pélasges accomplissaient de grands voyages sur mer et faisaient passer d’une escale à une autre une foule d’objets de consommation, des vases, des étoffes, des tapis, des métaux, des bijoux et des ornemens de toute sorte. Durant des siècles nombreux, ces habiles et hardis marins n’ont pas seulement parcouru la Méditerranée; ils en sont même sortis par le détroit de Cadix et, s’aventurant sur les grandes vagues de l’océan, ils ont fait de fréquentes visites sur les rivages extérieurs de l’Afrique et de l’Europe.

Le curieux qui fait des fouilles et des collections est obligé détenir compte de cette diffusion du commerce. Supposez Paris détruit par une guerre et enseveli sous ses débris. Deux ou trois mille ans après, des amateurs y font des fouilles; ils déblaient le quartier des boulevards et y trouvent une quantité de vases et d’autres objets chinois ; ils en concluent que Paris a été occupé un temps par les Chinois, et peut-être en partie construit par eux. En y regardant de plus près et en s’informant, ils reconnaîtront peut-être que c’étaient là des articles de commerce, importés sur de grands navires par un canal unissant la Méditerranée à la Mer-Rouge; il pourra arriver qu’ils apprennent le nom de ce canal et que leurs fouilles, tombant sur un certain tombeau, leur découvrent que l’auteur du canal portait le nom de Lesseps. Alors, le mystère étant éclairci, l’hypothèse de l’occupation de Paris par les Chinois sera reléguée