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raison que je n’ai pas songé à faire entrer dans mes calculs la réparation pécuniaire des dommages causés par les alcooliques dans leurs attentats contre les personnes et contre les propriétés.

Je suis maintenant en mesure d’établir le budget des dépenses de ce vice ruineux et humiliant. Voici comment il se règle :


Prix de l’alcool, consommé 90,981,800francs.
Journées de travail perdues. 962,771,000 —
Frais de traitement et de chômage 70,842,000 —
— pour aliénation mentale 2,321,300 —
Suicides 3,170,000 —
Frais de répression pour les criminels 8,894,500 —
Total 1,138,980,000 francs.

Ainsi donc, indépendamment de la honte et de la dégradation, comme supplément au désordre, à la ruine, aux douleurs des familles, comme surcroît à l’atteinte portée à la race, au caractère et aux forces vives du pays, l’alcool lui coûte encore plus de 1,100 millions par an. Il s’agit de nous soustraire, dans la mesure du possible, à ce tribut dégradant. C’est un des problèmes sociaux dont la solution s’impose aux hommes de notre génération ; c’est une des questions qui sont en ce moment à l’étude. Les représentans du pays commencent à s’en émouvoir[1] et l’opinion publique s’en est emparée. La solution n’en est pas facile, mais elle ne dépasse pas la mesure de nos forces. La France n’est pas un pays fatalement voué à l’alcoolisme. Sa race et son climat ne l’y condamnent pas. Si nos provinces du Nord se ressentent du voisinage des contrées septentrionales, celles du Midi confinent à l’Espagne et à l’Italie et s’en rapprochent par le type physique et les mœurs de leurs habitans. Or la sobriété des populations méridionales est connue de tout le monde. Dans les pays aimés du soleil, où croît la vigne et où l’on récolte le vin, on ne songe pas à boire autre chose et, si l’ivresse n’y est pas complètement inconnue, on ne l’y observe qu’à l’état d’exception ; encore s’y présente-t-elle sous une forme moins

  1. M. Claude (des Vosges) a déposé devant le sénat un projet de résolution tondant a la nomination d’une commission d’enquête sur la consommation de l’alcool. Deux rapports ont été déposés sur cette proposition : le premier par M. Tolain, le 16 février 1886, au nom de la commission d’initiative parlementaire ; le second par M. Dietz-Monin, le 1er mars 1886. Enfin l’impôt sur les boissons figure au nombre des mesures que le ministre) des finances a comprises dans son projet de budget pour 1887.