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effondrer cette île, vers le XVIe siècle avant Jésus-Christ. Leur mobilier, qui n’était pas somptueux, consistait en quelques vases de terre ; il y avait aussi de l’orge et des lentilles, une petite scie de bronze et de la paille pour nourrir une chèvre, dont on a retrouvé les os. Tout cela est d’un grand intérêt pour nous modernes, qui deviendrons anciens à notre tour et dont les générations à venir chercheront sous terre les habitations et le mobilier.


II.

Disons maintenant dans quelles conditions s’opèrent ou doivent s’opérer les déblaiemens, quand on veut qu’ils produisent tout leur fruit. Je parle surtout des pays classiques où plusieurs civilisations se sont succédé ; car la fouille des tumuli de la France, par exemple, ne permet en général aucune hésitation ; il n’y a rien au-dessus d’eux, rien au-dessous. On les perce d’une tranchée ou d’un puits ; on nettoie leur cavité intérieure, quand elle existe et, d’ordinaire, le travail est terminé. Il n’en est pas ainsi dans le Levant. Là, un site choisi par une antique population a le plus souvent été adopté par celles qui l’ont successivement remplacée. Comme l’usage des caves sous les habitations est très moderne, on ne déblayait pas. Les nouvelles constructions s’établissaient sur les débris des constructions ruinées. Ainsi le sol allait s’exhaussant à chaque guerre, à chaque incendie total ou partiel d’une cité. A la fin, c’est-à-dire quand la conquête musulmane eut fait de l’Orient un désert, le sol des anciennes villes se trouva composé de couches superposées dans un ordre chronologique, répondant à autant de périodes du passé. Cet état des lieux est celui que nous trouvons aujourd’hui ; il est général et ne souffre que peu d’exceptions.

En présence d’un sol ainsi constitué, la situation du savant se complique. Il est clair que son rôle n’est pas terminé tant qu’il n’a pas traversé toutes les couches et atteint le sol vierge, c’est-à-dire la couche naturelle et non remuée sur laquelle la population première s’est établie. s’il s’arrête à l’un des étages, il fait comme une personne qui prendrait l’histoire de France à la bataille de Pavie, sans se préoccuper des événemens qui l’ont précédée et provoquée. Un examen attentif montre qu’une couche trouve le plus souvent son explication dans celle qui est au-dessous d’elle ; celle-ci représente les habitations et le mobilier d’hommes qui ont été en guerre avec ceux de la couche placée au-dessus et qui ont été vaincus et supplantés par eux. Mais quand une population en subjugue une autre, elle ne la détruit pas, elle l’asservit ; elle ne supprime pas ses habitudes, ses inventions, elle y ajoute les siennes. C’est à la longue