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autre forme une des grandes erreurs de la révolution. On a comparé, non sans raison, le concordat à l’édit de Nantes. La séparation de l’église et de l’état serait, pour la république, sa révocation de l’édit de Nantes. Quand Louis XIV abrogeait le plus grand acte du plus politique de ses prédécesseurs, Louis XIV avait un pouvoir incontesté, et, en s’attaquant au protestantisme, il ne s’en prenait qu’à une minorité déjà affaiblie par de nombreuses défections. On pourrait demander si la république a le même pouvoir et le même prestige que le grand roi. Une chose certaine, c’est que le catholicisme en France est autrement fort et redoutable que ne l’était le protestantisme il y’a deux siècles ; cela seul suffirait à faire juger une pareille politique.

Ainsi, nous aboutissons toujours à la même conclusion. Entendue comme elle l’est par ceux qui la proposent, la séparation de l’église et de l’état ne serait qu’une déclaration de guerre ; et c’est parce qu’ils y voient une mesure de guerre que les radicaux la préconisent et que nos ministres en menacent le clergé. La dénonciation du concordat serait, pour la France, le signal d’une guerre civile plus vaste et plus acharnée que celles des camisards et des huguenots de Coligny ou de Rohan. Or, ceux qui, au nom des principes, veulent ainsi entamer contre l’église une campagne à fond se sont-ils demandé si la France contemporaine avait le goût de pareilles guerres civiles ? si le paysan, si le bourgeois, si l’ouvrier même ne s’en lasseraient pas, et, s’ils venaient à s’en lasser, comment finiraient les hostilités ? aux dépens de qui se ferait la paix ?

On n’a qu’à se rappeler le passé pour prévoir quel tour prendrait cette nouvelle guerre de religion ; il n’est nul besoin du don de prophétie pour en prédire le dénoûment. La séparation de l’église et de l’état est de ces mesures, qui, dans un pays comme la France, ne sauraient demeurer isolées. Par le caractère d’acuité qu’elle donnerait aux luttes politiques, par la force d’impulsion qu’elle communiquerait au radicalisme, par l’opiniâtreté des résistances qu’elle susciterait dans certaines classes et certaines contrées, la séparation précipiterait presque fatalement le pays dans une série de mesures violentes qui s’appelleraient les unes les autres. A cet égard, les radicaux et les révolutionnaires de toute sorte savent ce qu’ils font en poursuivant la dénonciation du concordat. C’est le meilleur moyen de provoquer une révolution, ou mieux, une série de révolutions politiques, économiques, fiscales, qui feraient de la fin du XIXe siècle le pendant de la fin du XVIIIe. Mais, comme il n’y a plus d’ancien régime à renverser, comme la France travailleuse a par-dessus tout besoin de repos, une crise violente ne saurait de nos jours longtemps durer.