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égards, l’une des gloires du génie français ? Qu’en fera-t-on, à moins qu’on ne substitue une religion à une autre et qu’on ne les érige en temples de la Raison ou de l’Humanité ? Ira-t-on toutes les convertir en Panthéon ; et chaque ville, chaque bourgade aura-t-elle, pour ses notables ou ses magistrats municipaux, le temple de ses gloires ou de ses vanités locales ? Aimera-t-on mieux en faire des musées ; mais de quelles œuvres d’art remplir leurs larges nefs ? Les conservera-t-on désertes et nues, aux frais de l’état ou des communes, pour la curiosité des archéologues ou le plaisir des artistes, pour laisser l’oisiveté des touristes faire résonner leurs dalles vides sous leurs voûtes muettes ?

Que proposent d’ordinaire les partisans de la séparation ? D’abandonner aux départemens et aux communes la disposition des édifices du culte ; de leur permettre de les convertir à leur gré en halles, en magasins, en usine ; en manège, en salle de concert ou en préau de foire. Les plus libéraux autoriseraient les municipalités à laisser les églises au culte en les louant au clergé, sauf à concéder le soir la chaire de l’évangile aux orateurs démocratiques ou aux artistes de passage. Beaucoup, s’inspirant des pittoresques souvenirs de la commune de 1871, aiment à se représenter le club succédant le soir à la messe du matin, comme si l’église, qui consacre les murs de ses maisons de prières avec les mêmes onctions que les membres de ses fidèles, pouvait jamais s’accommoder d’une telle promiscuité. L’intolérance du clergé ne sachant se résigner au partage, le club resterait le maître du sanctuaire ; et, de fait, une fois « désaffectées, » bien des églises, aujourd’hui comme sous la révolution ou sous la commune, finiraient en clubs. Selon l’expression de Cambon en 1794 : après avoir fomenté les superstitions, elles serviraient « de lieux de réunion pour former l’esprit public[1]. »

Un orateur populaire, vantant les bienfaits de la séparation et de la désaffectation des églises, faisait naguère à Reims le calcul des ménages que le gouvernement de l’avenir pourrait un jour loger sous les voûtes de la cathédrale où la France de Jeanne d’Arc faisait sacrer ses rois. C’était, pour lui, une manière de trancher la question des logemens à bon marché. Et, en effet, à prendre leurs dimensions en largeur et en hauteur, que de milliers ou de millions de familles un statisticien ne pourrait-il abriter dans les églises de France ! car, avec les ascenseurs et les calorifères, pourquoi, dans ces immenses ruches de pierre, les cellules ouvrières ne monteraient-elles point jusqu’aux arceaux des nefs et à la plate-forme des tours ? Si ridiculement puérils que semblent de tels projets, on n’a qu’à voter la séparation et à laisser aux communes la libre

  1. Décret de la convention du 17 septembre 1791.