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propriétés communes[1]. » Et, de fait, l’une des erreurs de la révolution en pareille matière est d’avoir si bien regardé le culte comme une fonction publique, qu’elle a fini par ne voir dans le prêtre qu’un fonctionnaire public. De là le vice radical, de là le fatal malentendu de la constitution civile du clergé, l’une des choses qui ont le plus contribué à jeter la révolution dans la voie de la violence et du sang[2].

Aux yeux de Mirabeau et de la constituante, « le service des autels est une dette de l’état. » Et dans quel sens est-ce une dette ? Aujourd’hui, par exemple, les catholiques disent la même chose ; et ils le disent, comme nous le rappellerons tout à l’heure, dans le sens propre du mot, l’état étant devenu le débiteur de l’église en s’emparant de ses biens. Le raisonnement de Mirabeau est tout autre ; il est en quelque sorte inverse, et bien autrement explicite sur l’obligation de l’état vis-à-vis de la religion. L’orateur de la constituante s’appuyait sur ce que l’entretien du culte était une dette de l’état pour revendiquer, au profit de la nation, la propriété des biens du clergé. Si singulière que nous semble cette argumentation, elle vaut la peine d’être signalée, ne serait-ce que pour montrer combien, sur ce point, les vues des hommes de 1789 étaient différentes des vues de ceux qui se donnent comme leurs continuateurs. L’état devant à ses membres les dépenses du culte, les princes, les corporations, les particuliers qui avaient enrichi le clergé n’avaient fait, disait-on, que « pourvoir à une dépense publique. » Par suite, la nation avait, selon Mirabeau, le droit de reprendre les biens donnés en son nom, à condition de se charger elle-même d’une dépense qui lui incombait naturellement. Peu importe la valeur de ce raisonnement, il a été sanctionné par les votes de la constituante, et l’on voit qu’il n’a rien de commun avec le système des laïcisateurs contemporains, pour lesquels la religion est un objet essentiellement privé que le législateur doit ignorer.

Pour Mirabeau et pour la constituante, l’entretien du culte était ainsi une obligation de l’état ; mais combien cette obligation n’est-elle pas devenue plus stricte depuis que l’état s’est approprié les biens ecclésiastiques et qu’en le faisant l’état s’est engagé solennellement à fournir au clergé et aux églises les ressources qu’ils tiraient jusque-là de leurs terres ? C’est là un fait sur lequel nous ne pouvons passer légèrement ; car, est-il permis de discuter in abstracto si l’entretien du culte incombe ou non à l’état, il n’est pas

  1. Discours de Mirabeau à l’assemblée constituante, 30 octobre 1780.
  2. L’article 1er de la constitution civile du clergé, décrétée le 12 juillet 1790, était ainsi libellé : « Les ministres de la religion exercent les premières et les plus importantes fonctions de la société ; .. ils seront défrayés par la nation. »