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doctrine. Pour ceux-là, pour ceux qui ne croient pas que l’état ait charge d’âmes, y a-t-il contradiction à lui laisser le fardeau de l’entretien du culte en lui refusant le droit de juger la doctrine ? Est-il vrai que, s’il subventionne les ministres de la religion, l’état doit s’ériger en juge, de la religion ; et que, s’il renonce à imposer un dogme, il doit renoncer à l’entretien de tout culte ?

Pour résoudre la question, il faudrait d’abord s’entendre sur ce qui est du domaine naturel de l’état, en d’autres termes, sur les attributions et sur les limites de la puissance publique. Or, quel problème plus complexe, plus délicat ? Quel problème a jamais reçu des solutions plus diverses selon les époques, selon les écoles, selon les intérêts des partis ? Quels sont les devoirs et quels sont les droits de l’état, ce serait là en vérité la première question à trancher, et tout homme de bonne foi confessera que ce n’est point là une besogne aisée. Nous la laisserons provisoirement à de plus présomptueux, nous bornant ici à une ou deux remarques.

A d’autres époques, il a pu être facile de raisonner sur ce terrain, tout le monde étant à peu près d’accord en principe. Il n’en est plus de même aujourd’hui ; jamais les hommes n’ont plus discuté sur la nature et les fonctions de l’état, et jamais ils ne se sont moins entendus. Les uns, fidèles aux traditions politiques ou économiques de l’école libérale, redoutent l’extension démesurée des pouvoirs publics aux dépens de la liberté et de l’initiative individuelles. Les autres, cédant aux penchans autoritaires et aux impérieuses exigences de la démocratie, tendent à élargir en tous sens les attributions des pouvoirs publics[1]. Or, dans lequel des deux camps se recrutent la plupart des tenans de la séparation de l’église et de l’état ? Il semble que ce devrait être surtout parmi les libéraux enclins à resserrer les limites de l’action de l’état. Est-ce là ce que nous voyons ? Chacun sait que c’est précisément le contraire. Si, parmi les libéraux, il se rencontre encore quelques partisans théoriques de la séparation, tels que naguère M. Laboulaye, ou M. de Pressensé aujourd’hui, c’est là, en France, une exception. Les plus nombreux comme les plus bruyans avocats de la séparation appartiennent sans conteste à la démocratie radicale, dont toutes les doctrines poussent à l’extension de la sphère des pouvoirs publics. Les hommes qui réclament hautement de nouvelles et multiples fonctions pour l’état, ou pour la commune, sont précisément ceux qui dénient le plus catégoriquement à la commune ou à l’état le droit d’entretenir le culte. Il y a là une logique sui

  1. Voyez, dans la Revue du 15 mai 1885, l’étude intitulée : les Mécomptes du libéralisme.