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On dira que le clergé retire du système concordataire certains avantages indirects qui ont leur prix, l’exemption du service militaire notamment. Nous n’y contredirons pas ; mais encore pourrait-on observer que pareille exemption a été accordée au clergé dans un intérêt public, tout comme aux instituteurs et à maints fonctionnaires. En dehors même de cette considération, en dehors de l’obligation morale pour l’état de ne pas entraver le recrutement du clergé, nous nous permettrons de faire remarquer que, dans les pays où la séparation de l’église et de l’état est complète, aux États-Unis, par exemple, on n’a jamais, pas même au moment des levées en masse, durant la guerre de sécession, prétendu imposer le service militaire aux ministres des différentes confessions. On eût vu là une atteinte manifeste à la liberté religieuse et au libre exercice du culte. Pour songer à faire porter le mousquet aux curés ou aux séminaristes, il faut être en guerre plus ou moins ouverte avec l’église, comme l’est aujourd’hui la république en France, ou la monarchie de Savoie en Italie. Et cette exemption du service militaire, si le régime concordataire l’implique moralement, le concordat ne la garantit pas formellement. Pour se donner la satisfaction de faire passer les jeunes tonsurés du séminaire à la caserne, la dernière chambre ne s’est nullement crue obligée de dénoncer l’acte de 1801. D’après nos législateurs, la seule immunité qu’on ait laissée au clergé peut ainsi être supprimée par une loi, sans rompre avec la politique « strictement concordataire. » Qu’ont donc en vue les partisans de la séparation, puisque, pour priver l’église de la dernière apparence de privilège, ils affirment n’avoir pas besoin de supprimer le concordat ? Ce qu’ils poursuivent, sous le nom de séparation de l’église et de l’état, c’est tout bonnement la suppression du budget des cultes, c’est-à-dire la spoliation du clergé.


II

Il y a là une confusion due en partie à l’ignorance, en partie à la mauvaise foi. L’église et le clergé ayant chez nous perdu tout privilège public ou privé, ce que, par euphémisme, l’on réclame sous le nom de séparation de l’église et de l’état, ce n’est, pour la plupart de nos radicaux, que la radiation du budget des cultes. On confond, pour emprunter le langage de nos voisins d’outre-Manche, le disestablishment avec le disendowment. On semble croire que, entre l’église et l’état, entre un clergé et une nation, le principal trait d’union, ce sont les liens matériels et, pour tout dire,