Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 74.djvu/842

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Si, entre l’église et l’état, il subsiste des liens réels, c’est bien plutôt l’église qui est liée à l’état que l’état qui est enchaîné à l’église. Veut-on voir là une servitude, laquelle des deux parties est asservie ? Est-ce la société civile, est-ce l’état qui nomme et qui paie, comme ses fonctionnaires, les ministres et les dignitaires de l’église ? Évidemment non ; si un pareil contrat avait quelque chose de servile et d’humiliant pour quelqu’un, ce serait bien plutôt pour l’église et pour ses ministres, choisis et payés par l’état. On sait que c’est ainsi qu’en jugeaient, vers 1830, nombre de catholiques, et non les moins illustres, Lamennais et Lacordaire ; ils voyaient, dans le régime inauguré en 1801, une sorte de servage ou de vasselage de l’église, ils prétendaient l’en affranchir au nom de la liberté, et comment ? Par la séparation. Quelque téméraires que fussent au point de vue pratique les vues de l’Avenir, Lamennais et Lacordaire étaient assurément plus logiques, en réclamant la séparation dans l’intérêt de l’église, que les libres penseurs qui la réclament dans l’intérêt de l’état.

Juge-t-on trop étroits les liens qui rattachent encore l’état à l’église, l’état n’a, pour les rompre, qu’à renoncer à la nomination des évêques et des curés, aussi bien qu’aux droits de police qu’il s’est arrogés par les articles organiques. Voilà vraiment ce que serait la séparation, et l’on ne voit pas ce qu’y gagnerait l’état. Car, pour le traitement du clergé, dont Lamennais et Lacordaire faisaient volontiers fi, pour le budget des cultes, ce n’est là en somme, nous y reviendrons tout à l’heure, qu’une dette de la nation, dette reconnue solennellement par ses représentans et que l’état ne pourrait répudier sans une mauvaise foi manifeste. En dehors du traitement qu’il reçoit et que l’on peut d’ailleurs justifier par des considérations d’intérêt public, nous ne voyons pas ce que le clergé perdrait à la dénonciation du concordat.

Que trouve-t-on, en effet, dans cet acte fameux, en dehors des points que nous venons de résumer ? Rien, si ce n’est la déclaration que la religion catholique « est la religion de la grande majorité du peuple français. » Mais ce n’est là que la reconnaissance d’un fait, assurément moins contestable aujourd’hui qu’au début du siècle. Il y a bien dans le concordat un article 1er, garantissant à la religion catholique l’exercice public de son culte ; mais le même article a soin d’édicter que le culte ne sera public « qu’en se conformant aux règlemens de police que le gouvernement jugera nécessaires pour la tranquillité publique. » Et cette réserve, l’on sait comment l’entendent le gouvernement ou les municipalités. Dans une grande partie du territoire, le culte catholique est moins public qu’en des pays mahométans comme la Turquie.