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peuplée et fertile ; les eaux débordées auraient ainsi entraîné chaque fois les restes épars d’un certain nombre d’animaux.

Après l’âge des hipparions du Mont-Léberon, nous pénétrons au cœur du pliocène, et la scène change définitivement. La mer a encore, il est vrai, des retours partiels ; elle n’abandonne que par étapes la vallée du Rhône. Un savant prématurément enlevé à ses amis, M. Raoul Tournouër, et plus récemment M. Fontannes, ont suivi les mouvemens du recul et de retour de cette mer pliocène qui s’éloigne pas à pas avant de quitter entièrement le bas Rhône. En Provence même, l’époque pliocène est bien caractérisée par cette circonstance que les vallées parcourues actuellement par les eaux courantes et leur servant de cuvettes ne sont pas encore complètement ouvertes ni percées. En amont de Mirabeau, par exemple, un grand lac recevait les eaux fie la Durance déjà rapide et tumultueuse, sans que les cailloux alpins y eussent encore accès. Le déversoir de ce premier lac retombait dans un second, et ce dernier allait aboutir plus loin à la nappe des poudingues inférieurs de la Crau. Auprès d’Aix, le petit fleuve du Lar alimentait aussi une cuvette lacustre, fermée par le barrage, non encore ouvert, de Roquefavour.

Nous savons que, durant le cours de ce dernier âge qui s’achemine peu à peu vers celui de l’homme primitif, la région provençale différait encore beaucoup de ce qu’elle est sous nos yeux. Dans le monde des animaux, les chevaux avaient remplacé les hipparions et les éléphans, après avoir supplanté les dinothériums, tendaient à exclure aussi les mastodontes. Des indices certains nous apprennent qu’alors le platane couvrait de son ombre les abords d’un lac voisin de Digne, que le gigantesque éléphant « méridional » hantait les environs de Marseille. Les observations du professeur Marion nous ont encore enseigné qu’il existait dans ce même territoire un palmier et des lauriers semblables à ceux des forêts canariennes, ainsi que des lauriers-roses. Un pas de plus vers les temps modernes et nous rencontrerions l’homme s’introduisant au sein de la Provence, non encore desséchée ni dénudée, mais ayant de fraîches vallées aux pentes garnies de tilleuls, d’érables, de laricios, associés au chêne, à la vigne et au figuier. Dotée alors de sources plus abondantes et de rivières coulant à pleins bords, depuis singulièrement appauvrie, la Provence ne serait-elle pas en droit d’accuser directement l’homme de l’avoir dévastée, en coupant ses forêts, et d’avoir altéré son climat, en sacrifiant tout aux exigences de la culture ? Que ce soit la faute de l’homme ou la conséquence obligée des lois naturelles, l’indigence actuelle n’est que trop visible, et la Provence a bien des motifs, en jetant un regard sur son passé, de regretter les splendeurs d’autrefois, de se plaindre du vent qui