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ce règne qui marque aujourd’hui si glorieusement dans les annales de l’Italie. Il s’était aliéné l’affection du Piémont et n’avait pas conquis l’attachement de ses nouvelles provinces. Il s’était arraché du sol où sa dynastie avait de profondes racines, et il n’était encore pour les Lombards, les Toscans et les Napolitains qu’un étranger, bien qu’il personnifiât leurs aspirations. Les liens du passé, formés par de longues et de communes épreuves, n’existaient pas entre eux. Le Piémont, au contraire, qui depuis des siècles avait soutenu la maison de Savoie dans la bonne et la mauvaise fortune, cédait aux ressentimens. Il ne pouvait oublier qu’on avait répondu aux manifestations de ses plaintes, de sa stupeur, par des coups de fusil, le jour où le gouvernement, par un simple entrefilet de l’Opinione, notifiait brutalement à la ville de Turin qu’elle avait cessé d’être la capitale du royaume. Les Piémontais n’avaient jamais marchandé les sacrifices à la dynastie ; ils se seraient soumis sans murmurer à leur dépossession, si le roi, au lieu de se retirer à la Mandria, dans une de ses maisons de plaisance, avait fait un généreux appel à leur dévoûment. Ils avaient été à la peine, ils méritaient qu’on rendît du moins un éclatant hommage à leur abnégation, à leur vaillant dévoûment à la cause italienne, lorsqu’on les frappait dans leurs intérêts et leur amour-propre.

L’étrange attitude du roi et les sanglans procédés de ses ministres avaient ulcéré les cœurs et les esprits[1]. La convention du 15 septembre était, aux yeux des Piémontais, un acte odieux ; sans faire le serment d’Annibal, ils s’étaient promis de la combattre en toute rencontre, de ne pas pardonner à ceux qui l’avaient conclue et de s’opposer, par tous les moyens, à une installation définitive à Florence. Ils n’admettaient pas que Florence pût supplanter Turin ; ils réclamaient Rome comme capitale, résolus à ne désarmer que lorsque la formule du comte de Cavour serait une vérité.

L’avenir de la maison de Savoie apparaissait précaire. Il lui

  1. « Sire, écrivait Carlo Boggio au roi, on vous a écarté du droit chemin qui conduisait à l’unification en vous faisant répondre par la fusillade à ceux qui s’impatientaient de cruels retards ; on vous a représenté comme un témoignage de municipalisme étroit l’émotion de Turin, qui, à tort ou à raison, croyait l’avenir compromis par la convention franco-italienne. Sire, vos conseillers vous trompent. »
    M. A. Boullier, Victor-Emmanuel et Mazzini : « La noblesse bouda et se plaignit du roi, non sans aigreur. Dans la bourgeoisie on s’exprima plus librement, plus acrimonieusement. Le sentiment monarchique parut s’affaiblir, et beaucoup de personnes semblaient prêtes à sacrifier la forme du gouvernement à l’achèvement de l’unité nationale, »