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hardiment levé le drapeau des espérances nationales ; accueillir, grouper autour de son gouvernement les libéraux bannis qui se réfugiaient en Piémont ; attendre, chercher patiemment les occasions pour recommencer la lutte contre l’Autriche, s’y préparer par des alliances, par la réorganisation de l’armée et des finances, tel était le programme qu’avec l’aide et sous l’inspiration du comte de Cavour il s’était tracé.

Victor-Emmanuel ne s’est interdit aucun des moyens qui devaient faire triompher ce programme : ni les subterfuges diplomatiques, ni l’achat des consciences, ni les compromissions avec la révolution, ni la spoliation de l’église, malgré le respect qu’il affectait pour la personne de son chef. « Son habileté a été de persuader aux Italiens que leurs intérêts se confondaient avec ceux du Piémont et de lier la cause de la monarchie de Savoie à la cause italienne[1]. » Il a en aussi, comme le roi de Prusse, l’habileté de donner le change, sur la portée de sa politique, à un souverain dont le cœur était sensible et l’esprit chimérique.

Victor-Emmanuel se trouvait, en 1867[2], à une heure critique de

  1. A. Boullier, Victor-Emmanuel et Mazzini.
  2. Dépêche du baron de Malaret, Floronce, juillet 1807. — « La situation générale de l’Italie laisse à désirer : elle s’aggrave chaque jour. Il y a le mal apparent, qui tient à l’état des finances ; il y a le mal latent, qui tient à l’esprit et au caractère de la nation. Il y a aussi le mal qui vient d’en haut, l’attitude de la cour, l’exemple qu’elle donne et la déconsidération qui en rejaillit sur le principe d’autorité. On se plaint du peu d’intérêt que le roi semble prendre aux affaires du royaume, on lui reproche de lâcher la bride à ses ministres et d’en médire lorsqu’ils ne sont plus au pouvoir ; on attribue bien à tort à son indifférence, plus apparente que réelle, la crise que traverse l’Italie et les maux dont elle souffre.
    « La question romaine est agitée dans la presse et au parlement. Lorsqu’elle est abordée à la tribune, elle est traitée à un point de vue qui ne se concilie ni avec nos doctrines ni avec l’interprétation que nous donnons à la convention du 15 septembre. Autrefois, on évitait de se prononcer sur la solution de ce redoutable problème ; on admettait volontiers qu’il était difficile de subordonner les intérêts de la catholicité à ceux de l’Italie. Les politiques exempts de passions convenaient dans le tête-à-tête, lorsqu’ils croyaient n’être pas entendus du dehors, que la devise de Cavour : « Rome capitale, » était, dans le domaine pratique, une absurdité, une utopie. Ils n’admettaient la translation du siège du gouvernement à Rome qu’avec l’assentiment de la France et des puissances catholiques. Leur langage s’est bien modifié depuis. Les plus modérés parlent d’aller à Rome comme de la chose la plus simple. Non-seulement ils ne se préoccupent plus d’un accord avec le saint-siège, mais ils se défendent d’en avoir jamais en la pensée. Ils n’admettent plus, à un titre quelconque, le maintien de la souveraineté temporelle du pape. »