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intellectuel et artistique, pris en soi et indépendamment des organes qui se fatiguent à la longue, croit en raison directe de l’activité exercée. Qui ne connaît le passage classique de Bossuet : « Les yeux fixés sur le soleil y souffrent beaucoup et à la fin s’y aveugleraient ; mais le parfait intelligible récrée l’entendement et le fortifie ; la recherche en peut être laborieuse, mais la contemplation en est toujours douce. » Toutefois, ces plaisirs absolument purs de l’intelligence ne sont qu’un idéal irréalisable, la contemplation même dont parle Bossuet ne demeure douce que le temps pendant lequel l’attention n’est point fatiguée ; la plus haute extase ne va point sans une tension des muscles qui se manifeste dans l’attitude même, et sans un épuisement consécutif de la substance nerveuse. La mesure dans l’activité devient donc un moyen d’en assurer le développement le plus intense. Si l’excès de mouvement musculaire, comme le manque, produit de la douleur, c’est qu’en ne proportionnant pas notre réaction à la force de nos organes, nous les usons. Le prétendu accroissement d’activité est alors une diminution. C’est ce qui produit le danger des stimulans comme les alcooliques, ou des énervans comme les narcotiques et le tabac : plus, en ce cas, on répète la sensation avec l’espoir de l’augmenter, plus on l’affaiblit. Cette apparente exception à la loi de l’intensité ne fait donc que la confirmer. La sélection naturelle se fait en faveur des races qui savent accumuler leurs forces par la modération même.

Autre problème. Pourquoi le changement dans l’action est-il nécessaire ? C’est là encore une loi dérivée que les psychologues contemporains, par exemple, MM. Bain et James Sully, ont nommée loi de contraste, pour l’opposer aux lois de stimulation et de modération. Mais, en réalité, c’est toujours du même principe que se tirent ces diverses conséquences. Le changement dans l’action n’est encore qu’un moyen d’assurer l’intensité de l’action : il fait travailler d’autres nerfs pendant que les premiers se reposent ; il permet donc aux nerfs de se séparer et accroît la puissance vitale.

Jouir, c’est toujours agir, agir, le plus possible, avec la plus grande intensité, avec la plus grande indépendance, avec la plus grande liberté possible. L’activité, par elle-même, va à l’infini : elle ne se modère que par nécessité et par contrainte, elle ne se modère que pour pouvoir ensuite se modérer moins, que pour se déployer au-delà de toutes les limites successivement dressées devant elle. Elle pourrait dire avec Faust : « — Si jamais je goûte la plénitude du repos, que ce soit fait de moi ; si jamais je dis à l’heure présente : attarde-toi, tu es assez belle ! alors la cloche des morts peut sonner ; que le cadran s’arrête, que l’aiguille tombe et que le temps soit accompli pour moi. » L’activité ne change aussi que pour