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des convoitises et des ambitions qui n’ont rien de commun avec le bien général. Que serait-ce si nos magistrats avaient encore des campagnes à louer, à surveiller, à faire exploiter ? Quelles tentations ne verraient-ils pas se dresser devant eux ! C’est bien alors qu’ils devraient s’écrier : O ciel ! préserve-moi de mes amis ! car les amis voudraient avoir les meilleures terres et au meilleur prix. Autant vaudrait décréter tout de suite que l’état sera chargé de gérer la fortune entière des citoyens.

Sixième point. — Sans aller jusqu’à confisquer la terre, les pouvoirs publics peuvent de plusieurs manières, par une sage initiative, diminuer les obstacles qui s’opposent au morcellement des grandes propriétés actuelles. Ils peuvent et doivent s’occuper avec sollicitude des faibles et des petits et leur procurer le moyen de s’élever intellectuellement, moralement, socialement. Ils perfectionneront les écoles. Ils diminueront les charges qui pèsent sur les classes laborieuses auxquelles on a trop souvent demandé, comme dans le service militaire, — des sacrifices de temps et d’argent absolument excessifs. Ils chercheront à réagir par les moyens qui s’offriront à eux, non pas certes contre la civilisation elle-même, mais contre l’agglomération qu’elle produit de populations considérables qui vont s’entasser dans les villes et les centres ouvriers, car c’est bien là qu’est le danger, — et, dans tous ces efforts, bien loin de décourager le zèle des particuliers, ils seront heureux, au contraire, d’obtenir leur concours, et ils y feront appel.

Septième et dernier point. — L’initiative privée n’a pas montré encore tout ce dont elle est capable. L’association et la coopération, sous leurs formes variées, sont des forces encore mal connues et dont la mission, au milieu de ceux pour qui la lutte pour l’existence est le plus rude, est fort loin d’avoir été remplie.

Telles sont les principales considérations qui ont été développées par les adversaires de la propriété foncière collective. Mais encore ici, comme tout à l’heure en exposant les théories de M. George, nous ne pouvons qu’indiquer les grandes lignes du débat.


III

Lorsque dans l’été de 1864 le célèbre apôtre du socialisme, Ferdinand Lassalle, arrivait à Genève pour y rencontrer sur le terrain un rival d’amour, et que, deux jours après, il succombait aux suites du coup de feu essuyé dans ce lugubre rendez-vous, on s’émut au-delà du Rhin. La presse allemande, qui avait en si souvent à s’occuper du jeune publiciste et orateur, assiégeait les bureaux de rédaction de la presse genevoise pour obtenir des renseignemens