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tout le mal venait du rôle que la terre distribuée entre les particuliers a jusqu’ici joué et qu’on allait bouleverser toutes les doctrines courantes sur la propriété pour redresser leurs griefs, c’était une autre affaire. Le travailleur ne se passionne que médiocrement, au pays de Washington et de Franklin, pour les idées théoriques ; il ne fait pas beaucoup de politique intransigeante ; il est peu porté à admettre que la société puisse se renouveler à coups de décrets et qu’on la modèle à volonté comme le sculpteur qui donne à la glaise qu’il pétrit dans ses mains toutes les formes que lui suggère sa fantaisie. Son éducation en a fait un homme pratique plutôt qu’un idéologue. Son ambition ne va guère au-delà du désir d’améliorer sa situation sans tenter l’impossible et tout simplement en tirant parti des cartes qu’il a.

On a donc beaucoup applaudi M. George dans le camp ouvrier ; on l’a lu avec le plus vif intérêt ; on a relevé dans son livre une quantité d’observations prises sur le vif, de critiques pleinement justifiées. Et pourtant l’apôtre du nouveau socialisme n’a pas été jusqu’à entraîner dans son orbite la masse proprement dite de ceux pour qui la vie est dure, et qui est plus prudente, plus conservatrice d’instinct que l’on ne serait porté à le supposer.

Mais il est, au milieu de ces hommes, des groupes plus avancés et aussi plus inflammables que le gros monceau ; c’est là que l’influence de M. George devait surtout se faire sentir. Elle a été pendant quelque temps prépondérante au sein des associations que l’Internationale avait précédemment enrôlées sous son drapeau, et auxquelles les idées de révolution ne sont point étrangères.

On sait que l’accord ne règne pas toujours dans cette avant-garde de l’armée des travailleurs. On put croire un moment que Progrès et Pauvreté allait sceller entre ses différentes fractions un traité de paix perpétuelle et offrir le terrain commun sur lequel elles uniraient dorénavant leurs efforts. Un rapprochement se produisit, mais il ne dura pas. L’arrivée du célèbre Most aux États-Unis, en 1882, vint tout gâter. Les élémens disparates qui avaient cherché à fusionner se sont de nouveau désassociés, et l’on a vu se reformer deux camps distincts, avec lesquels il y a pour nous quelque intérêt à faire au moins une rapide connaissance. Nous y serons aidés par une récente étude, — déjà citée, — faite sur les lieux et publiée à Baltimore[1].

Les deux écoles qui se trouvent aujourd’hui en présence sont : d’un côté, les socialistes révolutionnaires purs, les internationalistes ou les rouges, comme on les désigne communément ; de l’autre les socialistes modérés et pacifiques, les bleus.

  1. Recent American Socialism, by Richard F. Ely.