Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 74.djvu/643

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’une chose : assurer celui qui se livre au travail des champs qu’il continuera à recueillir le fruit de ses peines, de son initiative, de son intelligence, de son économie. Or, ce résultat sera aisément et sûrement atteint si, au lieu de confisquer la terre elle-même, on se contente d’en saisir la rente, ce qui reviendra, en pratique, à absorber la rente par l’impôt.

Voici comment les choses se passeront. Il sera édicté une loi portant suppression de tous les impôts existans et décrétant à leur place un impôt unique. Cet impôt pèsera sur la terre, qui se trouvera ainsi supporter à elle seule la totalité des charges publiques. Il ne sera pas calculé de manière à balancer les dépenses, il sera l’équivalent pur et simple de la rente du sol. La rente foncière, c’est ce qui reste disponible du rendement de la terre lorsque celui qui l’exploite a prélevé sur les récoltes la rémunération de ses peines, et qu’il s’est défrayé des sacrifices divers exigés par sa culture. C’est la somme qu’un propriétaire obtient aujourd’hui de son fermier. Il n’y aura plus qu’un seul propriétaire foncier, l’état, dont tous ceux qui travailleront le sol seront les concessionnaires. Il ne faut pas longtemps pour se rendre compte des avantages considérables d’une telle transformation.

Avantages économiques d’abord. L’impôt unique sur la terre se traduira par un accroissement de la production agricole et industrielle. La terre, en effet, ne sera plus détenue que par des personnes désireuses de se livrer à la culture ; et, de son côté, le capital, dégagé de ses anciennes entraves, n’ayant plus rien à démêler avec le fisc, se portera spontanément au-devant de toutes les entreprises, prêt à seconder toute idée heureuse, qu’il s’agisse de commerce, d’industrie ou d’agriculture.

Avantages administratifs ensuite. Au point de vue de sa perception, un impôt unique sur la terre présente une supériorité qui se discerne au premier coup d’œil. Il est facile à établir et à lever. Un système d’une telle simplicité ne favorise guère non plus les desseins coupables et des employés de la recette qui voudraient pratiquer des détournemens et des contribuables qui voudraient tromper l’état, — deux petites opérations qui ne sont pas rares aujourd’hui. Et, en fin de compte, on ne saurait concevoir un impôt portant d’une manière plus égale sur l’ensemble de la population. Du reste, les avantages que nous signalons en ce moment ont été entrevus depuis longtemps. Le père du grand Mirabeau parlait avec un tel enthousiasme de l’idée émise par Quesnay d’un impôt unique sur la rente, qu’il regardait cette découverte comme égale en importance à l’invention de l’écriture, et à l’introduction de la monnaie comme moyen d’échange.